Angela Laurier atterrit sur la scène de La Chapelle emmaillotée dans une sorte de «chic» camisole de force qui ressemble à une création de Jean Paul Gaultier. Elle retire ses hauts escarpins, se libère de ses vêtements et s'élance presque nue sur la scène, vêtue seulement d'une culotte couleur chair et de deux bandes de tissu adhésives qui lui couvrent la poitrine.

Et là, pendant plus d'une heure, elle dénude son âme et soumet son corps encore athlétique de 47 ans à une séance de danse-torture. Cul par-dessus tête, elle parle d'elle, mais s'étend surtout sur la douleur de son frère et de son père avec une franchise véritable.

Angela Laurier n'a rien à cacher, mais tout à confier, dire, raconter. Bien sûr, on savait un peu qui elle était, l'ex-contorsionniste du Cirque du Soleil, la soeur de Lucie et de Charlotte. Dans Déversoir, inclassable solo créé en France, son pays d'adoption, elle ouvre très grand le livre sombre de son histoire familiale. Et là, on apprend qu'ils en ont arraché, les Laurier, avec un paternel dépressif qui a légué à ses neuf enfants un douloureux héritage. «Faire des enfants, c'est perpétuer la misère», clame Angela, toute vrillée, se glissant ainsi dans la peau et la tête de ce père qui a quitté la France dans les années 50, pour ensuite travailler dans les mines, vivre en Alberta...

Mais c'est ça, la vie, semble nous dire Angela, la femme élastique, dont la démarche documentaire et biographique montre une grande tendresse pour la souffrance de ces hommes qui ont marqué sa vie. On peut imaginer que c'est son art qui l'a fait échapper au même sort que Dominique, le frangin schizophrène, lorsqu'un vieux film montre une Angela enfant qui exécute des prouesses de gymnastique sur la galerie de la maison familiale. On imagine que chez les Laurier, ceux qui ont canalisé cette intensité dans l'art ont échappé à un destin difficile.

Déversoir est une pièce documentaire très touchante, où transparaît un désir chez sa créatrice de dire les choses, de montrer une réalité dure, crue. Par exemple ces extraits où Dominique s'épanche sur les pilules qu'il doit prendre chaque jour pour garder les pieds sur terre. Ou la superposition du corps tordu d'Angela filmé «live» (capté par son partenaire, le vidéaste Manuel Pasdelou) et des entrevues avec les deux hommes, puis des extraits du documentaire familial sur lequel elle travaille depuis plusieurs années.

Le récit véridique d'une famille, donc, où rien n'est caché, dissimulé. Ni le mal-être des uns, ni la démence des autres. En solo sur scène, Angela donne toute la place à ces hommes. Comme si son corps tordu servait de canal transmetteur de la souffrance familiale. Toujours contorsionniste à 47 ans, elle garde le cap à un âge où il serait plus sage d'enseigner le tai-chi. Habitée par une démarche authentique et courageuse, elle déverse le récit de cette vie parmi les écorchés dans cette pièce dérangeante et captivante.

Une soirée familiale où les plaies sont exposées avec courage et tendresse, par une femme qui se plie, mais jamais ne casse.

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DÉVERSOIR, d'Angela Laurier. Jusqu'au 6 décembre au Théâtre La Chapelle. Info: lachapelle.org