Ça fourmillait de monde vendredi au Théâtre Denise-Pelletier, qui a inauguré sa nouvelle salle de spectacle (de 800 places) avec une ingénieuse adaptation du roman de Jules Verne, Vingt mille lieues sous les mers dans un bruyant spectacle de trois heures (avec entracte).

Les aventures fantastiques de Jules Verne, dont les descriptions épiques et les passages scientifiques à la limite étourdissants, ne semblent pourtant pas faites pour les planches. Au fil des ans, elles ont bien été adaptées au cinéma (notamment par Disney), mais au théâtre... Qui aurait misé sur cette longue histoire des Voyages extraordinaires publiée en 1869?

L'adaptation et la mise en scène de Jean-Guy Legault, qui n'en est pas à ses premières armes dans la métamorphose d'oeuvres littéraires (Edgar Allan Poe, Charles Dickens), parvient à en extraire le concentré nécessaire pour recréer, grâce à une astucieuse scénographie, l'ambiance «sous-marine» et le suspense du récit de Jules Verne.

Monstre marin

Le professeur Aronnax - un savant français - est invité à bord d'une frégate de la marine américaine pour traquer un monstre marin qui sème la terreur dans les océans. Son valet, judicieusement appelé Conseil, et un harponneur canadien, Ned Land, prennent part à l'expédition de l'Abraham Lincoln.

Mais voilà. Point de monstre il y a dans les mers. Plutôt un bateau sous-marin, le Nautilus, commandé par le capitaine Nemo, un homme éprouvé par la vie - et dont on ne connaît pas vraiment l'identité - qui a rompu avec la communauté des hommes pour vivre «librement» dans les fonds marins et qui s'en prend aux vaisseaux qu'il croise sur son chemin.

Après une collision avec «la chose», nos trois amis sont projetés par-dessus bord. Nemo les accueille, mais en fait ses prisonniers. C'est le début d'un long périple en mer, qui dévoilera au professeur Aronnax les richesses inconnues des océans, ainsi que la merveille technologique qu'est le sous-marin, symbole paradoxal du progrès humain et que Nemo questionne.

Pastille pivotante

Sur scène, tout s'articule autour d'une pastille pivotante, qui sert à la fois de frégate et de sous-marin. Qui monte et qui descend; qui sert aussi de hublot. Des projections à l'arrière-plan nous plongent dans les fonds marins. L'environnement sonore de Larsen Lupin complète le tableau. L'immersion est totale.

Les comédiens se tirent plutôt bien d'affaire, même si le spectacle n'en est qu'à ses débuts; l'interprète de Nemo (Bruno Marcil) bute par contre trop souvent sur les mots et n'a pas toujours le ton juste. Complexe personnage, à la fois passionné et terne, bon et irascible, on ne nous montre pas toutes les facettes de cet homme perturbé.

Un mot sur le harponneur canadien, Ned Land (très bon Louis-Olivier Mauffette). L'occasion en or pour Jean-Guy Legault de lui donner des airs d'habitant et de le faire parler comme un charretier. Le contraste avec les deux Français de l'équipage, le professeur et son valet (excellents Luc Bourgeois et Éloi Cousineau), donne lieu à des échanges convenus, mais rigolos.

Autre bémol: il me semble qu'on crie du début à la fin de cette pièce. Bien sûr, il y a la peur du monstre marin; bien sûr, il y a le naufrage; les tentatives d'évasion; le combat contre les pirates; la bataille contre une pieuvre géante; le maelström, etc. Mais tout le monde s'engueule tout le temps avec tout le monde. À force de crier ainsi, on perd de vue la subtilité du texte, la réflexion sur la place de l'homme dans l'univers.

Deux tableaux magnifiques nous apportent un peu de calme et de répit lorsque les membres de l'équipage revêtent le scaphandre pour une sortie exploratoire de l'océan dans un cas, pour un «enterrement» dans l'autre. Sublimes moments, qui nous mènent à la conclusion du récit et de 10 mois de captivité.

Malgré quelques déceptions dans le jeu des comédiens, ce Vingt mille lieues sous les mers vaut largement le détour. Pour cette mécanique parfaitement huilée de sons et d'images, pour le déploiement de cette technologie au service de l'oeuvre de Jules Verne.

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Vingt mille lieues sous les mers, au Théâtre Denise-Pelletier jusqu'au 9 décembre.