Le TNM propose une création d'Evelyne de la Chenelière. Jean-Duceppe et La Licorne qui présentent une saison «toute québécoise». Décidément, il se passe quelque chose dans les théâtres montréalais cet automne. Quelque chose comme une programmation record consacrée aux auteurs québécois. Et une relève en plein épanouissement.

Il y eut un temps où l'on comptait une poignée de dramaturges québécois. Par la force du nombre et la diversité des voix, on parle maintenant d'une véritable dramaturgie.

«C'est extraordinaire que plus de la moitié des pièces présentées sur nos scènes soient des créations québécoises! En 1968, on entendait du Molière joué par des acteurs québécois qui empruntaient un accent français. On est vraiment très loin de ça maintenant», commente l'auteure Lise Vaillancourt, qui préside le Centre des auteurs dramatiques (CEAD) (1) et dont la pièce Tout est encore possible est présentée jusqu'au 21 novembre au Théâtre d'aujourd'hui.

«Cette année est événementielle, mais elle est tout à fait à l'image du succès de la dramaturgie québécoise à l'heure actuelle, dit-elle. La curiosité et l'enthousiasme ont gagné les directeurs artistiques des théâtres et même des grands plateaux (comme celui du TNM).»

L'enthousiasme a aussi gagné le réalisateur Denis Villeneuve, qui est allé jusqu'en Jordanie pour tourner une adaptation d'Incendies, la pièce de Wajdi Mouawad.

En 20 ans, le nombre d'auteurs membres du CEAD a ainsi augmenté de 160 %, passant d'une centaine à 262, révèle Mme Vaillancourt: «La relève est d'un foisonnement que je n'ai pas vu depuis les années 70.»

Et on accorde une place de choix à cette relève. Cette saison, à Espace Go, Claude Poissant met en scène Rouge gueule d'Étienne Lepage, sorti de l'École nationale de théâtre en écriture dramatique il y a tout juste deux ans. La pièce suivante, Porc-Épic, est l'oeuvre d'un autre jeune diplômé, David Paquet. De même, en 2009, le Rideau Vert, a créé Construction de Pier-Luc Lasalle, qui terminait à peine sa formation. C'est sans compter l'ouverture, en début d'année, du Théâtre Aux Écuries, qui se donne pour mission de faire connaître les créateurs émergents.

Pour Lise Vaillancourt, le public a évolué. «Je sens que la population est rendue là, capable de fréquenter ses auteurs avec moins de peur. Et les directeurs de présenter des auteurs québécois avec moins de craintes au box office.» Même si le théâtre de création reste plus risqué pour les diffuseurs.

En début de semaine, 33 textes étaient en lice pour le prix Michel-Tremblay. Michel Tremblay lui-même est ébahi: «C'est quand même extraordinaire, dans une saison, d'avoir 33 créations! Je ne suis pas sûr qu'on verrait autant de créations si on allait à Paris, une ville beaucoup plus populeuse que Montréal. C'est assez incroyable!» Le Québec reste un petit marché où il est difficile d'être un artiste, dit-il, mais une saison théâtrale toute québécoise, comme c'est le cas chez Jean-Duceppe, «cela aurait été absolument impensable il y a 40 ans».

Un théâtre qui voyage

À l'étranger, le théâtre québécois se fait aussi remarquer. Wajdi Mouawad a triomphé à Avignon l'été dernier, avec la présentation de sa trilogie au palais des Papes. Mais il y a deux ans déjà, le Conseil québécois du théâtre avait profité des états généraux du théâtre pour souligner que «bon an, mal an, plus d'une quinzaine de compagnies, chaque saison, tournent à l'étranger» et que «les compagnies qui se produisent à l'étranger y trouvent en moyenne 60 % de leurs revenus».

«C'est là un des changements les plus radicaux, et des plus inattendus, qui a marqué le théâtre québécois depuis 1980», écrivait le Conseil à l'époque.

Plusieurs auteurs québécois voient leurs textes traduits dans la foulée de leur création, comme Wajdi Mouawad, Suzanne Lebeau, Jasmine Dubé, Serge Boucher, Carole Fréchette, Daniel Danis et Larry Tremblay. Le recordman? Michel Tremblay dont les 26 pièces ont été traduites en... 26 langues. Certains voient même leurs pièces créées à l'étranger avant de l'être au Québec.

Il faut dire que leur propos s'universalise. «Les auteurs et artistes de ma génération, on sentait beaucoup le besoin de tout ramener à nous, analyse Michel Tremblay. Tandis que maintenant, que ce soit Wajdi ou d'autres, ils parlent de nous mais en parlant d'autres. On s'est ouvert au monde. Ce n'est plus obligé que ça se passe au Québec pour que ce soit considéré comme québécois.»

«J'ai l'impression qu'il y a de plus en plus de prise de risques, d'autonomie intellectuelle. Je sens les gens beaucoup moins encombrés de leurs influences, plus libres », renchérit Evelyne de la Chenelière, dont la nouvelle pièce, L'imposture, prend l'affiche au TNM la semaine prochaine.Retourner dans le temps

Lorsque le CEAD a été créé, en 1965, il n'y avait à peu près pas de théâtre québécois sur les scènes montréalaises. Au temps de Marcel Dubé, Gratien Gélinas ou Françoise Loranger, on pouvait presque compter les dramaturges sur les doigts d'une main. Puis, l'arrivée de Michel Tremblay et des créations collectives des années 70 a créé une onde de choc.

La décennie suivante, les voix se sont diversifiées. Depuis les années 90, plusieurs auteurs, comme Wajdi Mouawad, Dominic Champagne, Olivier Choinière ou, plus récemment, Marcelle Dubois, créent leurs propres compagnies.

Plusieurs se sont mises à louer de petites salles. Par exemple, la salle Jean-Claude Germain et la petite salle du Prospéro ont vu naître les textes d'Evelyne de la Chenelière ou de Serge Mandeville, raconte Lise Vaillancourt. «Si on parle aujourd'hui de dramaturgie québécoise, c'est parce qu'il y a eu vraiment une avancée en nombre et en force de diversité, de langages et d'univers. On a longtemps écrit pour affirmer notre existence et notre identité. Je pense qu'on est juste au seuil de la maturité.» Car pour parler de maturité, il faudrait que le répertoire québécois ancien puisse être joué «à grand renfort» au même titre que le théâtre de création, croit-elle.

Le prochain combat du CEAD, maintenant que la dramaturgie québécoise a du succès? Revaloriser tout ce qui a été écrit depuis 50 ans et plus. Et s'assurer que les auteurs soient plus présents dans l'espace public.

____________________________________________________________________________________________

(1) Anciennement nommé le Centre d'essai des auteurs dramatiques, le CEAD a pour mission de soutenir, de promouvoir et de diffuser l'écriture dramatique francophone du Québec et du Canada.