Treize ans après sa mort, le véritablement regretté Robert Gravel est de nouveau parmi nous grâce à une de ses pièces. À compter de mardi, le Rideau Vert propose Il n'y a plus rien, qui se déroule dans un hôpital pour personnes âgées. À sa création, en 1992, ce texte avait frappé un grand coup. En 2009, il est encore plus d'actualité.

C'est une des grâces de ce monde: bien que mort prématurément et de façon foudroyante à 51 ans, Robert Gravel est encore partout. Par la Ligue nationale d'improvisation, dont il est un des fondateurs. Par le Nouveau Théâtre Expérimental (NTE), dont il était un des piliers et qui existe (et dérange) toujours. Mais aussi par sa dramaturgie: en 1999, les spectateurs du Théâtre du Nouveau Monde avaient eu droit à une reprise de la pièce Durocher milliardaire de Robert Gravel - et le public du TNM, moins habitué à son univers déstabilisant que celui du NTE, avait été atteint au plexus!

Il devrait en être de même pour les spectateurs du Rideau Vert, qui vont découvrir Il n'y a plus rien, un des textes les plus sensibles, cruels, dérangeants, tristes, touchants, brutaux et tendres qui soient. C'est Gravel qui oscille entre le sacrilège et le sacré pour rendre compte de l'infiniment petit - l'être humain - et l'infiniment grand - l'être humain, là aussi. Tout ça dans un univers étriqué, et pourtant universel: un hôpital, ses patients (toutes des personnes âgées) et son personnel.

«La grossièreté rebute, l'agressivité rebute, mais l'humilité ne peut pas rebuter. Et Robert a une façon si délicate, si amoureuse, si humble de faire vivre ses personnages que les gens vont, comme nous, accepter, aimer ce qu'ils voient. Dans cette pièce, il n'y a presque plus rien, mais c'est le «presque» qui est important», dit la comédienne Sylvie Potvin, qui tient dans la pièce le rôle d'une religieuse confinée à son lit depuis 30 ans par la sclérose en plaques. Ce qui n'empêche pas son frère (interprété par François Tassé, qui a accepté de quitter ses Îles-de-la-Madeleine pour l'occasion!) de venir lui faire la lecture tous les jours. Il lui lit notamment... les notices nécrologiques. Non, ce n'est pas macabre: c'est sa façon de faire parler sa soeur des religieux et religieuses qu'elle a connus...

Cette tension constante entre le trivial et le sensible, c'est une des caractéristiques du théâtre de Gravel: «J'ajouterais l'opposition entre le burlesque et la noblesse de l'âme, entre le vulgaire et le surnaturel, explique le metteur en scène Claude Laroche. Pour moi, c'était important d'aller plus loin dans le réalisme, de l'accentuer jusqu'à l'hyperréalisme. Face à la mort, il y a des voies diverses, qui se valent. Un personnage comme celui de Madame Caron (interprété par Claudine Paquette), prise du coeur et diabétique, qui se beurre et se bourre de chocolat et de becs, pour qui le rire va littéralement être une résurrection, qui a encore une libido, est une des façons d'affronter et la vie et la mort. Chaque personnage - et chaque personne - a la sienne.»

Dans le répertoire

Le comédien Jacques L'Heureux et le scénographe Jean Bard, amis de Gravel, font des pieds et des mains depuis la mort de ce dernier pour que son oeuvre prenne sa place dans le théâtre de répertoire. Comme cette fois, le Rideau Vert - et sa directrice, Denise Filiatrault - présentent leur populaire revue annuelle de l'année (2009 revue et corrigée) au théâtre Outremont (plus grand), la salle de la rue Saint-Denis était libre pour Gravel et son théâtre du petit monde que nous sommes tous, un moment donné. «D'autant plus qu'à sa création, c'était «des jeunes qui jouaient des vieux», alors que, cette fois, nous ne sommes pas si loin de l'âge de nos personnages», explique Sylvie Potvin, qui a écrit, joué et improvisé avec Gravel.

La pièce se déroule quelques jours avant Noël. «Une des audaces du Rideau Vert, c'est d'avoir accepté qu'il n'y ait aucune modification ou coupure dans le texte, reprend Laroche. Nous sommes 14 acteurs sur scène, dans le même décor qu'à la création (adapté évidemment à la scène du Rideau Vert). Et on y observe ce qui se passe, en temps réel, un peu avant, pendant et un peu après l'heure des visites.»

Louis Champagne, qui a quasiment débuté au théâtre sous la direction de Gravel, campera, dans Il n'y a plus rien, le personnage de Gaby, préposé aux malades, homosexuel et de bonne humeur: «Si Robert voyait qu'on joue au Rideau Vert, il rirait tellement... et il serait tellement content! Sa pièce est une partition où personne n'a le premier rôle, où tout le monde a son rôle à jouer, littéralement. Et Claude (Laroche) lui ressemble assez, finalement: c'est, lui aussi, un chef scout autoritaire qui n'a jamais besoin de montrer son autorité pour obtenir ce qu'il veut!»

«Ce qui est fascinant, conclut Laroche, c'est qu'on réalise à quel point Robert est un homme de théâtre (ndlr: Claude Laroche, en entrevue, parle régulièrement de Gravel au présent...). Tout ce qui est théâtral est bon pour lui. Sa culture lui fait piger dans le burlesque, le classique, le mélodrame, le réalisme, le lazzi (l'improvisation insérée dans un texte écrit en bonne et due forme), tout. C'est ce qui nous permet de jouer le plate - la vie, en fait! -, mais sans être plate.

«Ni sur scène ni dans la salle, personne ne va échapper à la mort. Mais on peut en rire, grâce à des gens comme Robert. On peut, littéralement, tuer le temps...»

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Il n'y a plus rien, de Robert Gravel, au Rideau Vert à compter du 17 novembre.