Jongler avec les mots et leurs sonorités dans un esprit ludique et arbitraire, c'est la spécialité du Groupe de poésie moderne. Avec De l'impossible retour de Léontine en brassière, la troupe tend vers le récit et cherche... la recette du succès.

La première fois que Félixe Ross a entendu parler du Groupe de poésie moderne (GPM), elle se trouvait dans un avion. «Ma première réaction a été de regarder par le hublot», avoue la comédienne. L'enthousiasme qu'on imagine chez son voisin de siège, Christophe Rapin, n'a pas tout de suite muselé les soupçons que le mot «poésie» avait éveillés en elle. Ce n'est que lorsqu'il lui a récité des textes qu'elle a succombé. «Je me suis sentie appelée», dit-elle. Comme en religion.

 

Christophe Rapin est bien placé pour comprendre la réaction de sa collègue. Son premier contact avec les textes du GPM, fondé en 1993 par les auteurs Bernard Dion et Benoît Paiement (aussi comédien), lui a aussi fait l'effet d'une révélation. «Une forme de séduction profonde s'est opérée, se souvient-il. Ça m'a fait l'effet d'un art visuel pour l'oreille. J'ai eu envie de participer à sculpter cette matière-là.»

Avec De l'impossible retour de Léontine en brassière, le GPM poursuit sa déstabilisante exploration de la langue, mais d'une manière moins «arbitraire», selon Christophe Rapin. Ici, à la faveur d'un jeu qui mêle fiction et réalité, une troupe cherche à se débarrasser d'une actrice vieillissante (qui s'appelle Félixe) parce qu'elle (ou sa poitrine tombante, selon ce qu'on a compris) n'arrive plus à remplir les salles.

Vieillir n'est pas la seule tare de cette Félixe imaginaire et composite incarnée par les quatre comédiens du GPM. Si ses collègues veulent se débarrasser d'elle, c'est qu'elle stagne. «Elle représente l'artiste qui ne se remet plus en question, qui se satisfait de ce qui marche», dit Christophe Rapin. «Elle est devenue un obstacle à l'art», tranche Félixe Ross, dont la vivacité la place à des lieues du personnage qui porte son prénom.

De l'impossible retour de Léontine en brassière fait écho aux réflexions des membres du GPM (complété par Christian E. Roy) sur l'évolution de leur propre projet artistique commun. Sur la nécessité de se renouveler, de défendre des idées et d'être «traversés par un propos» qu'ils appuient tous «avec joie et lumière», disent les deux comédiens. L'un et l'autre affirment d'ailleurs questionner de plus en plus le travail des auteurs et du metteur en scène (Robert Reid).

Dans le spectacle, la réflexion sur l'art et sa finalité se fait notamment à travers la figure de Borduas (qu'ils s'amusent à prononcer Borduasse) et des clins d'oeil au manifeste Refus global. «On ne transpose pas le texte de Refus global sur scène», précise toutefois Christophe Rapin. Simplement, les acteurs de la troupe fictive plongent dans l'oeuvre du peintre automatiste pour tenter de découvrir le secret de son génie dans l'espoir de l'appliquer à leur travail, comme une recette.

Les habitués du GPM retrouveront dans Léontine ce goût compulsif pour la musique des mots, qu'il entrechoque toujours avec le langage du corps. D'où l'ironie, l'absurde et le caractère arbitraire de certaines de ses propositions. «Là, on est plus dans le récit, alors qu'avant on était plus dans la juxtaposition de capsules gratuites», analyse toutefois Christophe Rapin.

Félixe Ross et lui trépignent d'impatience, à quelques jours d'enfin rendre public ce spectacle auquel la troupe travaille depuis presque deux ans. «Souvent, le plaisir arrive au cours de la dernière semaine, et là, les choses prennent leur sens», dit la comédienne. «On a fait une belle construction branlante en Lego, et là, dit Christophe Rapin, on va la propulser en essayant de tenir tous les morceaux ensemble!»

De l'impossible retour de Léontine en brassière, du 13 au 31 octobre au Théâtre d'Aujourd'hui.