Ce n'est pas à une promenade mélodramatique que convie le Rideau Vert avec Un tramway nommé Désir, mais à un tour de montagnes russes.

L'adaptation qu'en a faite le metteur en scène Alexandre Marine donne lieu à un spectacle court et dense - l'action est concentrée en moins de deux heures - qui passe du rire au drame à un rythme effréné. Sylvie Drapeau trouve dans cette approche audacieuse un terrain où elle peut donner toute la mesure de son talent.

Tennessee Williams, sensible au sort des êtres fragiles et marginaux, relate dans cette pièce le dernier chapitre de la déchéance de Blanche DuBois (Sylvie Drapeau), femme blessée issue d'une famille riche désormais dépouillée et marquée au fer rouge par le suicide d'un mari qu'elle adorait.

Sans le sou et sans statut, elle débarque chez sa soeur Stella (Catherine De Sève) dans l'espoir d'y trouver un refuge. Elle se trouve toutefois confrontée au mari de celle-ci (Gregory Hlady), qui se méfie de ses grands airs et de ce qu'il prend pour des fabulations.

De même que Blanche DuBois ne dit pas ce qui est, mais ce qui devrait être, Alexandre Marine a abordé ce texte en donnant à voir non pas ce qu'il dit, mais ce qu'il n'ose pas révéler. Ici, désirs, tension, rêves et fantasmes ne sont pas distillés dans un jeu subordonné à la psychologie des personnages, mais affichés au grand jour par une approche stylisée axée sur le corps et le geste.

Ce jeu très physique et décalé est surtout l'apanage de Sylvie Drapeau, avec cette voix trop haut perchée pour ne pas paraître artificielle et ses airs de grande dame qui en met trop. Elle détonne au milieu des autres acteurs, qui jouent de manière généralement plus réaliste. Et c'est l'illustration parfaite de la position particulière de Blanche DuBois, femme seule, brisée, condamnée à bien paraître si elle veut se trouver un protecteur. Sa réalité étant trop difficile à supporter, elle se réfugie dans le rêve.

Gamine coquine

Alexandre Marine a poussé ce contraste très loin. Le jeu de Sylvie Drapeau, toujours les baguettes en l'air et parfois coquine comme une gamine qui veut trop plaire, frise parfois la caricature et se révèle souvent franchement comique. Et on rit... à notre grand étonnement. Mais cette envie de souligner le côté joueur de Blanche, même s'il émane d'un besoin de séduire aussi vital que destructeur, ne se fait pas au détriment du drame.

Les face à face entre elle et Stanley, dont Gregory Hlady fait un coq brutal et charnel, sont tendus. La scène où Mitch (Paul Doucet) confronte Blanche au sujet de son passé est dure et poignante. Ces contrastes presque excessifs participent grandement de l'étrange beauté de ce spectacle. Ils ne l'empêchent aucunement de sonner juste et vrai, au contraire.

Sylvie Drapeau, qui offre une performance remarquable, évolue avec une aisance stupéfiante dans cet univers entre onirisme et réalisme. Le reste de la distribution (complétée par Vitali Makarov et Danny Gilmore) n'en souffre pas, heureusement. Chacun est exactement là où il devrait être, convaincant et agile (certains passages relèvent de la chorégraphie). Alexandre Marine a fait un pari osé, mais il remporte la mise et signe la production la plus épatante de cette jeune saison.

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Un tramway nommé Désir, jusqu'au 31 octobre au Rideau Vert.