Avec Esteban, Stéphane Crête promettait de révéler «le sous-sol de son inconscient». De dévoiler, non pas sa vie, mais son imaginaire. Sa volonté de se mettre à nu, il l'a d'ailleurs réitérée d'une manière délicieusement équivoque au début du spectacle en déclarant: «Bienvenue en moi.» Une formule de politesse qu'il a bien sûr soulignée d'un sourire entendu.

Qu'y a-t-il dans la tête de Stéphane Crête? Une foule de personnages colorés, souvent désopilants: un exhibitionniste, un chanteur de ballades trop souriant, un mime lubrique, un épatant transformiste, un danseur adepte de ce qu'on a envie d'appeler le «disco taï chi» et un clown pas si triste.

Et aussi une folle intelligence de la scène.

Pendant un peu plus d'une heure, suivant la formule du cabaret, le comédien enchaîne les numéros et interprète une dizaine incarnations du personnage d'Esteban. Il change de perruque et de costume à un rythme fou, parfois directement sous les yeux des spectateurs. Ce feu roulant de transformations habiles parvient même à créer une espèce de suspense: chaque fois qu'il quitte la scène on se demande dans quel genre d'accoutrement il va ressurgir. Et on n'est jamais déçu.

Esteban parle peu, mais chante beaucoup. Ici, il amorce une bluette romantique qu'il transforme en objet de vengeance particulièrement sadique et ce, sans jamais quitter son sourire radieux. Là, il se prend pour un «screamer» de heavy metal, une chose velue et virile (il porte un beau cache sexe argenté), affublée d'un masque de cochon. Un autre récite Careless Whisper dans un veston à épaulettes en vinyle et avec une perruque au look plastique qui rappelle deux têtes «gominées» des années 80: le rockeur autrichien Falco et le personnage virtuel Max Headroom.

Il est difficile de ne pas voir dans ces parodies une critique d'un certain pan de la musique populaire. Ou une métaphore d'une ère où le vide remporte souvent l'adhésion d'une masse de gens. Sauf qu'il ne faut pas non plus intellectualiser à outrance ce qu'on voit dans Esteban. Stéphane Crête n'a pas doté son spectacle d'une trame narrative intelligible. Ses personnages parlent peu ou pas, privilégiant le langage corporel, suffisamment éloquent. Le numéro de mime est d'ailleurs à pleurer de rire.

Esteban fourmille de flashes ingénieux, ce qui ne l'empêche pas de rater la cible à deux ou trois occasions (le numéro autour de Careless Whisper est notamment tombé à plat). C'est le risque dans ce genre de performance où tous les excès sont permis: il n'y a pas de juste milieu. Stéphane Crête prouve amplement avec ce cabaret à la fois déroutant et pas compliqué du tout qu'il sait jouer avec les codes de l'humour.

Sa maestria ne l'empêche toutefois pas de verser dans la facilité s'il le faut. Et même quand on le voit venir avec ses gros sabots, on rit. Franchement. Parfois de trucs tellement bêtes qu'on se sent presque gêné. Un vrai plaisir coupable, quoi.

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ESTEBAN, de Stéphane Crête, jusqu'à samedi au théâtre La Chapelle.