Musset avait beau défendre l'idée de pièces à lire - son fameux « théâtre dans un fauteuil « -, rien ne vaut l'expérience de la scène. Surtout quand il s'agit de Michel Tremblay, dont l'oeuvre théâtrale mise souvent sur le sens et l'émotion pouvant naître de juxtapositions ou de jeux de miroirs qui, pour donner leur pleine mesure, demandent à être vus et non pas seulement imaginés.

Ainsi en est-il de Fragments de mensonges inutiles, présentée chez Duceppe, dans laquelle le dramaturge interroge les réactions de deux familles placées devant l'homosexualité de leur garçon de 15 ans. Jean-Marc (Olivier Morin) se mesure à la morale de la société québécoise des années 50, alors que Manu (Gabriel Lessard), qui vit en 2009, doit surtout traiter avec des parents envahissants et trop compréhensifs. Du moins en apparence.

Il n'y a là rien de radicalement neuf pour qui a déjà fréquenté le théâtre de Michel Tremblay. Le thème, la prédilection pour les dialogues « musicaux « et le goût pour les télescopages temporels (Manu et Jean-Marc sont amants à travers le temps) sont des éléments caractéristiques de son univers. Or, Serge Denoncourt, dans une mise en scène aussi soignée que révélatrice, souligne la pertinence de l'approche privilégiée par le dramaturge et en fait un objet d'une grande beauté.

Les comédiens évoluent dans une aire de jeu triangulaire (le décor est de Louise Campeau) dont la base est l'avant-scène. Côté jardin, un mur blanc cassé orné d'un crucifix; 1959, évidemment. Côté cour, un mur noir, évoquant une certaine élégance contemporaine. Entre les deux? Du carrelage noir et blanc. Et huit chaises, déplacées au gré des scènes.

Espace dépouillé

Serge Denoncourt a fort habilement exploité cet espace dépouillé, confinant les personnages des deux époques dans leurs «zones» respectives. Même Manu et Jean-Marc ne se rencontrent qu'au centre. Et c'est précisément en orchestrant soigneusement les déplacements des personnages et en exploitant le regard qu'ils posent sur le jeune couple qu'il agit comme un révélateur et crée des moments forts au plan émotif. Il signe notamment de très belles étreintes entre les deux amants, à la fois passionnées, romantiques et pudiques.

Son talent n'arrive toutefois pas à faire oublier qu'il existe un déséquilibre entre les deux mondes. De manière générale, tout ce qui touche la famille des années 50 est plus fort au plan dramatique. Après tout, Jean-Marc ne fait pas seulement face à sa famille, son drame n'est pas seulement intime, c'est toute la société qui s'en mêle à travers le personnage de l'aumônier (Roger La Rue).

Pour Gabriel (Normand D'Amour, convaincant) ou Nana (Maude Guérin, bouleversante), accepter l'orientation sexuelle de son fils revient à prendre position. Ce que fait d'ailleurs Nana dans un monologue très fort... qu'une partie de la foule a d'ailleurs applaudi sur-le-champ!

Une famille en 2009

En comparaison, la famille de 2009 paraît bien pâle (ce n'est pas pour rien que François Barbeau les a vêtus de beige). Après tout, Diane (Linda Sorgini), Louis (Antoine Durand) et le Psy (Gabriel Sabourin) ne font face qu'à un ado de 15 ans qui ne veut pas qu'on se mêle de ses affaires. Encore moins se confier à ses parents.

Le décalage est si grand entre la force des propos de Gabriel (père de Jean-Marc, solidement campé par Normand D'Amour) ou de l'aumônier et ceux de leurs vis-à-vis, Louis et le Psy, qu'on prête une oreille distraite au bavardage presque gentil de ces derniers. L'ambivalence et l'égocentrisme de Diane en font toutefois un personnage intéressant, presque touchant, qui contribue un peu à refaire l'équilibre.

Manu se trouve donc doublement seul. Seul avec son drame et seul pour faire contrepoids aux quatre discours de 1959. Il est heureusement interprété par un excellent jeune acteur, Gabriel Lessard, qui aurait pu tirer des larmes à une pierre dans la scène où il avoue l'immensité de son chagrin à une mère dépassée.

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Fragments de mensonges inutiles, chez Duceppe jusqu'au 17 octobre.