À leur sortie de l'école de théâtre du Cégep de Saint-Hyacinthe, les finissants de la cuvée 2008 ont fondé une troupe, Sortie 123. Plus encore, ils se sont donné un mandat audacieux: s'attaquer aux conventions théâtrales par le truchement de projets «injouables». Son acte de naissance professionnel est à la mesure de cette ambition, puisque les jeunes comédiens se frottent au Cercle de craie caucasien de Brecht, dans une mise en scène de Luce Pelletier.

L'une des idées chères au dramaturge allemand était de conférer un caractère épique au théâtre. Ici, tous les ingrédients nécessaires sont réunis: un coup d'État, une bourgeoisie désarçonnée, des petites gens maltraités par la milice, un amour en suspens et un enfant abandonné.

La femme du gouverneur Abashvili, qui a été pendu, a en effet pris la fuite en laissant l'héritier derrière elle. La bonne Groucha Vanadzé (Émilie Lévesque) aura le coeur de le prendre avec elle, de le protéger au péril de sa vie et puis d'en réclamer la garde à la justice lorsque la guerre sera finie et que sa mère biologique voudra le récupérer.

Pour donner vie à cette aventure comptant plusieurs dizaines de personnages, 12 comédiens dynamiques - sept femmes, cinq hommes. De quoi donner du tonus aux parties chantées, fort bien orchestrées d'ailleurs. Toute la pièce durant, chaque interprète passe d'un rôle à l'autre et d'un costume à l'autre, sous le regard complice de l'assistance. C'est du sport.

Un tel tourbillon ne laisse pas toujours le temps aux interprètes d'offrir un jeu nuancé - le chef des gardes noirs est d'une grossièreté au-delà de la caricature, par exemple - et donne parfois lieu à des échanges confus. L'énergie des comédiens confère toutefois un ton urgent à la pièce, par ailleurs ponctuée de plusieurs bons moments. Émile Beaudry se démarque du lot par sa justesse, qu'il incarne un paysan rustre ou le très maniéré prince Kabetzki, qui est à l'origine du coup d'État. Émilie Lévesque, qui joue l'opiniâtre Groucha, défend également habilement son personnage.

Jean-François Guilbault est toutefois celui qui sert le mieux ce spectacle et qui est le mieux servi par lui. Il n'a l'air de rien lorsqu'il se fond dans le choeur, mais se révèle charismatique et d'un grand naturel dans la peau d'un écrivain public fin finaud et noceur qui trouve le moyen de se faire nommer juge... Il a un rôle payant - son juge est porteur d'un humour qui allège grandement le drame -, et il l'endosse avec une aisance et un plaisir évidents.

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Le cercle de craie caucasien, jusqu'au 19 septembre au Théâtre Prospero.