Mort de peine débute sur les chapeaux de roues. Déjà plongée dans la pénombre, la salle du Quat'Sous est vite noyée dans le vacarme d'un moteur poussé à fond. Soudain, le bruit sourd d'un impact et, très vite, celui d'une voiture qui redémarre à toute vitesse. L'accident a lieu hors scène. Yan (Louis Champagne) a tout entendu lui aussi. Il sort rapidement de son demi sous-sol et court vers la victime.

Lorsqu'il réapparaît sur scène, il porte un énorme chien. Mort. Ce chien n'est pas le sien. Il ne l'a même jamais vu dans le quartier. Mais la fuite du conducteur le dégoûte. Et la mort brutale de l'animal est la goutte qui fait déborder le vase. Durant l'heure et demie qui suivra, il racontera toutes ces fois où la mort lui a fauché un ami, une connaissance ou un étrange voisin.

Les habitués des Contes urbains ou du théâtre d'Yvan Bienvenue connaissent son affection pour les laissés-pour-compte. Mort de peine n'y fait pas exception. Le décor - une conciergerie, évoquée par une structure de bois et un peu de brique - suggère un milieu pauvre. On n'est pas surpris d'apprendre qu'il s'agit d'une maison de chambres. Yan, celui qui conte ses morts, a peut-être une jobine. Peut-être pas de boulot du tout.

Pour sa première incursion au théâtre, le cinéaste Louis Bélanger s'est fait discret. Sa décision d'intégrer un musicien à la pièce (le bluesman Michael Jerome Brown) n'apporte pas grand-chose, et son acteur semble laissé à lui-même en ce qui a trait aux déplacements (pourquoi Yan monte-t-il soudainement au deuxième alors qu'il vit au sous-sol?).

Sa direction d'acteur se révèle en revanche juste sur le plan des émotions. Louis Champagne incarne de manière convaincante ce Yan submergé par des souvenirs et des sentiments qu'il voudrait bien empêcher de remonter à la surface. Sa douleur, comme son désespoir, crève les yeux.

Mort de peine constitue une intéressante réflexion sur le deuil, mais c'est loin d'être la pièce «coup de poing» annoncée. Yvan Bienvenue, qui signe ici un texte regroupant cinq courts récits, cerne bien la tristesse et le sentiment d'impuissance qu'on peut ressentir face à la mort. Mais lorsqu'il tâte l'autre versant du deuil - la colère, le désir de vengeance - sa réflexion tourne court.

Il décoche quelques flèches, bien entendu. Il souligne que les tueurs, les mafieux et les violeurs font l'objet de séries télé, mais qu'on se fiche des victimes. Il effleure le sujet de la peine de mort, mais désamorce aussitôt la tension (Yan affirme vite qu'il ne pourrait y adhérer).

Or, pour véritablement bousculer l'assistance, c'est précisément des thèmes que le dramaturge aurait pu creuser. C'est d'ailleurs dans l'air du temps: les proches des personnes assassinées ou disparues ne réclament-ils pas plus de soutien ou des peines plus lourdes pour les criminels?

Son audace se trouve peut-être ailleurs. Dans ce souci de demeurer humain, dans ce que le terme peut avoir de noble. Et dans cette finale inattendue, dans laquelle les spectateurs sont invités à jouer un petit rôle...

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Mort de peine est présenté au Quat'Sous jusqu'au 6 septembre et de nouveau du 15 au 26 septembre.