Sans son créateur, le chorégraphe Dave St-Pierre, mais avec impudeur et humour, des comédiens et danseurs québécois ont présenté Un peu de tendresse, bordel de merde dans un... cloître avignonnais. Le courant a passé.

Ils sont arrivés avec leurs gros sabots, culs par-dessus tête, pour communier avec le public du magnifique cloître des célestins. Sans leur chef spirituel Dave St-Pierre - restreint dans ses déplacements par la fibrose kystique -, le clan désinhibé de la production Un peu de tendresse, bordel de merde s'est mis à nu à Avignon. Au propre comme au figuré. Et bien franchement, la démesure a trouvé un refuge parfait entre les murs de pierre, les balcons solennels et les deux gros arbres perçant les deux côtés de la scène mythique des célestins.

Le courant a passé entre les festivaliers avignonnais et tous ces corps venus abattre le quatrième mur à grands coups d'amour, d'impudeur, d'humour et de sincérité.

L'avant-veille de la première, j'ai rencontré la comédienne Enrica Boucher, exquise MC d'Un peu de tendresse, à la sortie d'une rencontre de presse où elle a décrit aux médias européens la démarche artistique de St-Pierre.

Elle avait hâte de présenter ici, à Avignon, ce spectacle qui n'a été vu que deux ou trois fois à Montréal, mais qui a été joué plus de 70 fois dans plusieurs villes européennes. «On sent ici un intérêt pour la création en provenance du Québec. Il y a un buzz, comme si on apportait quelque chose de dynamique. Je pense qu'au Québec, on enseigne un théâtre qui est plus physique. En France, j'ai l'impression que le corps est réservé à la commedia dell'arte, au clown, et qu'il est moins important dans un théâtre de parole.»

Réservé, le public du premier soir - «public de première, vous êtes un peu coincé», a lancé l'indocile Enrica Boucher - a vite abandonné ses résistances et cédé aux élans de tendresse de Dave St-Pierre. Oui, comme il est d'usage dans l'univers du chorégraphe de 35 ans, des hommes à poil ont fait des mamours aux bonnes gens du public, des filles enragées se sont lancé des bêtises avant de se garrocher des chaussures par la tête, on s'est enlacés, on a malmené un pauvre gâteau (!), on s'est pitché partout, il y a eu branlettes, désespoir, humour noir.

«Je n'avais pas réalisé, avant de partir, le prestige rattaché à ce festival», confiait Enrica Boucher, avant de découvrir le lieu où ses compagnons de scène et elle allaient s'offrir en pâture.

Cela dit, les pronostics sont encourageants pour Dave St-Pierre, qui, après avoir subi sa greffe pulmonaire, apprivoise désormais le fait de respirer normalement. «Depuis deux ans, il ne peut plus tourner avec nous. C'est devenu trop fatigant pour lui, trop compliqué. Mais maintenant, c'est comme s'il commençait une nouvelle vie», a dit Enrica Boucher lors de notre entretien.

À poil et dans les deux langues officielles, la gang de Dave St-Pierre s'est faite l'audacieuse ambassadrice d'une relève de la scène enflammée, bordélique, urgente. Du culot comme personne d'autre. Le cran de laisser tomber les masques et d'embrasser le public sur la joue gauche. Et de dire que oui, la tendresse, c'est peut-être un truc des années 70, mais ça en prend bien un peu pour survivre au bordel.