Il paraît que le phénomène est unique au Québec. À partir du mois de juin, plusieurs artistes de théâtre migrent hors de la métropole pour jouer la comédie légère et fofolle dans les nombreux théâtres d'été. Généralement, les portes claquent, les imbroglios éclatent, l'infidélité est au menu et le cabotinage reprend du service. Puisque l'été arrive officiellement demain, nous vous proposons un aperçu de ce que nous réservent les scènes de théâtre estival. Nous avons même fait le voyage en autocar jusqu'au Théâtre Sainte-Adèle, avec un groupe de mordus. À quelle heure le punch?

"Michel Forget est extraordinaire. Il est vraiment en forme, pour ses 67 ans", déclare Francine Leboeuf, dans l'autocar qui nous ramène au bercail, après une soirée de souper-théâtre à Sainte-Adèle. L'organisatrice en chef de l'expédition semble satisfaite de cette virée avec une cinquantaine de retraités - surtout des femmes - de Valleyfield.

Seule ombre au tableau: ceux qui avaient commandé le poulet Wellington ont reçu leur repas un peu tardivement. "C'est la première fois que cela arrive ici", s'inquiète-elle.

En montant à bord de l'autocar nous conduisant jusqu'à Sainte-Adèle, j'ai compris que la sortie au théâtre d'été était entourée d'un décorum très particulier. Les coquettes dames étaient impeccablement coiffées, maquillées et vêtues de leurs plus chics ensembles d'été. Les quelques maris qui étaient de la partie étaient aussi sur leur 36. Pendant le trajet, ils ont eu droit à quelques blagues offertes par le chauffeur.

Pour eux, le théâtre est avant tout une occasion sociale faite de rigolade légère, d'un petit apéro et d'un repas bien animé.

"On ne peut pas haïr une pièce de théâtre d'été, parce que c'est toujours jovial", tranche Jacques Avoine, ancien caméraman de l'ONF qui assistera cet été à plusieurs pièces avec sa femme Nicole. "Le théâtre, c'est fait pour s'aérer l'esprit, tout comme le cinéma, d'ailleurs. Moi, j'aime m'amuser. Ça ne me distrait pas, de voir sur une scène quelqu'un qui a le cancer. Ça, c'est juste se complaire dans la misère humaine", confie-t-il, entre deux bouchées de fondue chinoise.

Nos vedettes...

La première visite au théâtre estival du groupe de Valleyfield était le Théâtre Sainte-Adèle (qui présente La chance au coureur). Plus tard en saison, ils iront applaudir Pierrette Robitaille au Théâtre de Rougemont, Bernard Fortin au Théâtre du Chenal-du-Moine et Benoît Brière au Théâtre du Vieux-Terrebonne.

Souvent, les sorties se font le samedi, période "creuse" de la semaine pour les veuves qui se retrouvent seules dans leur maison. "Je suis toute seule depuis que mon mari est décédé. Ça fait que je voyage et je sors en groupe. Avant, je n'aimais pas le théâtre. Mais ma soeur m'a dit que je devrais essayer de voir des pièces d'été. Je me suis dit que j'essayerais ça cette année", explique Mme Théorêt.

La chance au coureur, spectacle qui occupe la scène du Théâtre Sainte-Adèle tout l'été, est une burlesque histoire de cocus, où abondent les jeux de mots salaces, les baby doll, les costumes colorés et les rebondissements invraisemblables.

Le public applaudit de joie dès que surgit Michel Forget en bermuda et chemise hawaïenne. Dans la salle, on ne se gêne pas pour rire fort, donner la réplique aux acteurs et même ridiculiser les réactions des personnages. De sorte qu'on a un vague sentiment de voyager dans le temps, à la douce époque de La Poune et de Gilles Latulippe.

Pendant l'entracte, j'entends des spectateurs encenser la drôlerie de Michel Forget, mais aussi commenter négativement le jeu de la jeune comédienne France Parent. "C'est qui, elle? Je ne la replace pas. Dans quoi elle joue?" s'interroge une dame derrière moi.

Philippe Riopelle, le directeur du Théâtre Sainte-Adèle, confirme que la notoriété des acteurs est ce qui attire les spectateurs au théâtre d'été. Les gens veulent voir en vrai les personnages de leurs téléromans préférés. "Les artistes les plus en demande sont les Benoît Brière et Luc Guérin. Mais ce n'est pas évident de trouver des personnalités pour jouer l'été: elles sont souvent occupées par des tournages ou des répétitions."

Grand fan de Claude Michaud, Jacques Avoine affirme qu'il juge la qualité d'une pièce surtout par les comédiens qui la défendent. "Quand il y a trop de nouveaux venus, on dirait que ça boite un peu", observe ce spectateur aguerri.

Même chose pour les Montreuil, qui choisissent les pièces en fonction des vedettes de la télé qu'ils connaissent. "Quand ce sont des artistes qu'on ne connaît pas, c'est moins intéressant", dit M. Montreuil.

Cela dit, la joie de retrouver sur scène les vedettes de la télé est unanimement partagée dans le groupe de Valleyfield. Après la pièce, les éloges fusaient sur la performance de Michel Forget.

Olivier Guimond, Claude Blanchard et les autres peuvent reposer en paix: le burlesque se porte comme un charme, sur nos scènes estivales. Si La Poune aimait son public, le public chérit toujours ses vedettes.

La chance au coureur au Théâtre Sainte-Adèle jusqu'au 15 septembre.