Cette critique pourrait commencer par «Fuck You Jan Fabre!», en guise non pas de critique négative mais pour reprendre, en guise de manifeste, la longue litanie qui conclue L'orgie de la tolérance du flamand Jan Fabre: «Fuck You l'art contemporain... Fuck You la consommation débridée... Fuck You les Marocains, les islamistes, les Africains, les Anglais, les Américains, les Français, les grandes marques... Fuck You la dépendance, à la jouissance sexuelle, à l'alcool, au tabac (tous fument sur scène et ça finit par enfumer la salle)... Fuck You en anglais, en français, en croate, et Barack Obama aussi (tant qu'à y être)...»

Un coup de gueule adolescent, une irascibilité en règle sans peur et sans reproches pour pourfendre la frilosité des temps qui courent: «Soyez prudents quand les autres sont avides, soyez avides quand les autres sont prudents» conseille un des acteurs. C'est cela précisément cette pièce déjantée, tellement enragée et exubérante qu'elle est, forcément, calibrée au quart de tour, tirée au cordeau, pas un mot, un geste, une provocation qui ne soit minutieusement conceptualisée, propos et positions prévus pour produire exactement leur effet. Une pièce efficace, donc, qui mêle critique sociale acerbe, images inoubliables, trash et esthétique, musique rock, danse et interprétation hors pair.

Le tout repose sur la force stupéfiante et communicative des neuf interprètes engagés dans leur rôle, corps, chair, voix, sexe et intellect qui transmettent une vision. Jan Fabre précise que la mise en scène et les textes ont été créés avec les interprètes et on n'en doute pas. C'est bien le sentiment d'avoir sous les yeux une micro-société de fidèles investis et intronisés qui emporte l'adhésion du public. Avec eux, grâce à eux, on se sent emporté dans une manifestation de résistance, un par un, et tous ensemble. Les scènes outrées, cocasses, délirantes se succèdent, inutile de les décrire, il faut les voir, les vivre, pour y croire. Et on y croit.

Dérapages contrôlés

C'est la force des oeuvres de Jan Fabre, créateur pluriel qui déploie sa parole artistique à travers le théâtre, la chorégraphie, l'écriture aussi bien que le film et les arts visuels. Avoir choisi des interprètes à sa juste dimension n'est pas la moindre de ses réussites. Sans eux, l'exercice pourrait facilement tourner au ridicule, alors que cela demeure drôle et juste, même lorsqu'on dérape vers des profondeurs qui pourraient rendre triste, parce qu'inévitablement, à un moment donné ou un autre du spectacle, on se trouve confronté à une image, une voix, une phrase qui nous choque, et nous égratigne.

Malheureusement on n'évite pas les clichés, quelques gros sabots convenus que l'on voit venir de loin, et présentés d'une façon non moins prévisible. Dommage. Mais voir Jan Fabre de retour à Montréal avec une pièce à grand déploiement reste sans doute une réussite du FTA 2009. Alors «Fuck You Jan Fabre», c'est bien bon!

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L'orgie de la tolérance de Jan Fabre, à L'Usine C jusqu'au 27 mai, 20 h. infos: 514-844-3822.