D'aussi loin qu'elle se souvienne, Terra MacLeod a toujours rêvé de chanter et de danser sur Broadway. Tant pis si c'était loin de Snowdon, elle trouverait bien le moyen d'y arriver. En fin de compte, c'est grâce à Montréal et à la version québécoise de la comédie musicale Chicago que Terra a réalisé son rêve. Six ans plus tard, la grande amie de Véronic DiCaire revient dans sa ville natale jouer la brune Velma de Chicago, version Broadway.

Les rares soirs où elle n'est pas sur scène à Miami, Dubaï, Toledo ou à La Nouvelle-Orléans, Terra MacLeod, de son vrai nom Terra Ciccotosto, s'enfonce dans un sofa, ouvre la télé pour regarder American Idol ou So You Think You Can Dance, des téléréalités qui promettent à leurs gagnants la gloire, la célébrité et un mode de vie semblable au sien. À tout coup, Terra a envie de traverser l'écran et de demander à toutes ces jeunes filles qui rêvent de Broadway, comme elle y rêvait à leur âge, êtes-vous bien sûres que c'est ce que vous voulez faire? Savez-vous ce que cela implique? Comme travail? Comme sacrifices?

 

Qu'on ne s'y méprenne pas, Terra, la fille de deux restaurateurs montréalais, adore son métier. Chanter et danser, c'est sa vie, sa passion, sa raison d'être. Elle me le répète à plusieurs reprises dans le bar de l'hôtel où ses grands yeux clairs, son port altier et son corps mince de liane ont fait tourner toutes les têtes lorsqu'elle est entrée. Terra adore son métier, mais elle sait aussi tous les sacrifices qu'elle a dû faire et qu'elle fait encore.

Sans attaches, sans domicile fixe, sans mari ni enfants, Terra a enchaîné cinq productions dans quatre villes seulement l'année dernière. Tour à tour, elle a été Aurora dans Le baiser de la femme araignée, Ulla dans The Producers, Anita dans West Side Story, Adelaide dans Guys and Dolls, Gladys dans The Pyjama Game avant de reprendre le rôle de Velma dans Chicago en octobre. Parfois, son contrat était de trois semaines, parfois de trois mois. Parfois, on l'appelait à 48 heures d'avis en lui donnant à peine le temps de boucler sa valise, de sous-louer son appartement à Los Angeles et de prendre l'avion.

«Tant que j'ai l'énergie, la force, l'endurance et la flexibilité, ça ne me dérange pas de faire du pick up and go. Sur le plan du métier, c'est un beau défi sauf que je ne pourrai pas faire ça toute ma vie. Arrivée à un certain âge, je vais devoir me trouver une autre passion. Diriger les autres m'attire, écrire aussi, mais bon, ma carrière de scène est loin d'être finie.»

De Snowdon à New York

Sa carrière a en quelque sorte commencé alors qu'elle avait neuf mois. «La minute que j'ai marché, j'ai voulu danser. J'ai pris des cours aux Grands Ballets canadiens en pensant que je serais ballerine, mais je n'avais pas la discipline nécessaire. J'étais une boule d'énergie qui voulait tout faire en même temps: du classique, du jazz, du moderne.»

À 12 ans, elle vit un premier rejet qu'elle dit déterminant. L'année précédente, elle avait obtenu un rôle dans Casse-Noisette. Elle se présente donc à l'audition l'année suivante, mais comme elle a trop grandi, elle est refusée.

«Je suis sortie de l'audition en larmes, mortifiée et incapable de regarder mes parents dans les yeux tant j'étais déçue de moi-même. C'était le tout premier rejet que je vivais de ma vie et ça a été une grande leçon parce que le lendemain, au lieu de tout vouloir abandonner, je me suis dit: tant pis, si ça ne marche pas, je vais trouver autre chose.»

Née à Montréal, d'une mère anglaise et d'un père italien qui aurait voulu être une rock star comme son idole Bruce Springsteen, Terra a grandi avec sa soeur Gina, à Snowdon, mais aussi au centre-ville de Montréal où ses parents tenaient le Café Limelight. Elle a fait ses études primaires en français à l'école Saint-Antonin, rue Queen-Mary, avant de se retrouver, dans le système anglais, à la Marymount Academy, puis au collège John Abbott.

À 17 ans, elle s'inscrit aux auditions de l'École nationale de théâtre. Elle passe au premier tour, mais le jour de son rappel coïncide avec la date de son départ pour un voyage avec son école à New York. «J'étais complètement déchirée et dévastée à l'idée d'avoir à choisir entre les deux rêves de ma vie.» Ses parents viennent à son secours en lui offrant un billet d'avion qui lui permet de passer l'audition, puis d'aller rejoindre ses camarades dans la Grosse Pomme. En fin de compte, elle n'a pas été acceptée à l'École nationale. «Mais ce n'était pas grave, je venais de découvrir New York et je n'avais qu'une envie: y retourner au plus vite.»

Du rêve à la réalité

Cette semaine à la générale du Violon sur le toit, au Rideau Vert, où elle avait été invitée, Terra a retrouvé ses vieux camarades de jeunesse, Frédéric Desager et Émilie Josset. «C'est drôle, mais les deux se sont souvenus qu'à 16 ans, je rêvais déjà de chanter sur Broadway.»

À 19 ans, le rêve devient réalité lorsqu'elle est acceptée à l'American Musical and Dance Academy de New York, une prestigieuse école qui forme les acteurs et les futures stars de Broadway. Aujourd'hui, les frais de scolarité sont de 26 500$US par année. À l'époque où Terra y a étudié, les frais n'étaient pas aussi élevés, mais tout de même, ce n'était pas donné. Heureusement que ses parents avaient mis de l'argent de côté pour ses études et celles de sa soeur.

À la fin de sa formation, ce n'est pas Broadway qui l'appelle, mais le Japon qui lui fait une offre incongrue: chanter des chansons de Gloria Estefan dans un parc d'attractions. Elle saute sur cette occasion de vivre au Japon et ne revient s'établir à Vancouver que deux ans plus tard. Puis un jour, en 2003, son agent lui signale que la version française de Chicago sera produite à Montréal et que la production se cherche une Velma, la brune psychopathe interprétée par Catherine Zeta-Jones au cinéma. Même si Terra brûle d'aller auditionner, elle est retenue par un tournage à Vancouver. Elle envoie donc une cassette. Un mois plus tard, elle apprend que la production cherche toujours sa Velma. Cette fois, elle saute dans le premier avion pour Montréal et rencontre celle qui doit jouer Roxie et qui deviendra sa partenaire de scène à Montréal comme à Paris, son amie et sa coloc: Véronic DiCaire.

«Je me souviens d'un soir, je marchais dans la rue à Paris avec Véronic. Tout à coup, elle s'arrête et, au beau milieu du trottoir, commence à imiter Céline Dion. J'étais bouche bée tellement elle était bonne. Je lui ai dit: Véronic il faut que tu fasses ça quelque part dans un show.»

Six ans plus tard

Chicago marque un tournant dans la carrière de Terra. «C'est ici à Montréal avec Chicago que tout a commencé, affirme-t-elle. Et c'est pour ça que j'ai tellement hâte de revenir en juin jouer Velma à la Place des Arts, dans ma ville, devant mon monde. Je vais être nerveuse, mais jamais autant que lorsque j'ai fait Chicago en français avec Stéphane Rousseau et Véronic. C'était il y a six ans. Et ce qui m'apparaissait comme une montagne à l'époque est devenu une seconde nature pour moi depuis.»

Alors qu'elle interprétait Velma au Casino de Paris, des producteurs de Broadway sont venus voir le spectacle. Impressionnés par sa fougue, ils ont invité Terra à venir jouer Velma sur Broadway l'année suivante, puis à partir en tournée aux États-Unis.

«Les gens pensent à tort que les équipes A des comédies musicales sont à Broadway pendant que les équipes B et C, en principe moins bonnes, sont sur la route. Mais ce n'est pas exact dans la mesure où les équipes sur la route sont soumises à la critique dans chaque ville chaque soir. La pression pour faire bonne figure est encore plus grande que sur Broadway. Et si vous n'êtes pas bon, c'est la porte. Alors autant dire que sur la route, on travaille aussi fort, sinon plus.»

Malgré cela, Terra ne changerait pas de métier pour rien au monde. Un jour, la vie dans les valises, sans domicile fixe, sans attaches et sans famille viendra à bout de cette Velma Kelly de Snowdon. Mais ce n'est pas demain la veille.