Dans un café de l'avenue du Mont-Royal, Marie Brassard nous entretient de son attrait pour l'insaisissable et «le besoin des humains de croire en une autre dimension». Son spectacle L'invisible, présenté dans une première mouture au dernier FTA, revient hanter les murs de l'Usine C. Une oeuvre poétique, inspirée par le canular de JT Leroy, la chute du mur de Berlin et l'attrait pour les ectoplasmes, au XIXe siècle.

«Il ne faut pas que les gens s'attendent à ce que le spectacle porte sur un de ces sujets», me prévient-elle.

Huit ans après la création de son acclamé premier spectacle solo, Jimmy, créature de rêve, Marie Brassard affiche une assurance tranquille, enveloppée d'une aura de mystère. «Je laisse les choses arriver. Je n'ai pas d'inquiétudes majeures», concède l'artiste globe-trotter, qui a passé la dernière année à parcourir l'Europe et le Canada avec L'invisible.

 

La création, pour Marie Brassard, consiste le plus souvent à «combiner des éléments qui n'ont entre eux aucun lien».

Trois éléments sans lien apparent sont à l'origine de la création de sa dernière pièce. D'abord, Marie Brassard aimait l'idée de travailler sur le phénomène des ectoplasmes, ces trucages photographiques qui représentaient des médiums en communication avec les morts. La chute du mur de Berlin est le second élément clé de ce spectacle qui parle des insaisissables changements qui modifient notre perception de la réalité. «Même si toutes les traces du mur ont disparu à Berlin, on sent encore sa présence, par une séparation entre les deux mondes.»

Un troisième épisode complète cet énigmatique tableau: la curieuse histoire de JT Leroy, canular du monde de la littérature américaine qui a été révélé en 2005. Chanteuse de rock dans un groupe punk, celle qui était derrière les écrits de JT Leroy (Laura Albert de son vrai nom) s'est longtemps fait passer pour un jeune transsexuel qui frayait avec le monde underground. «Quand la supercherie a été révélée, cela a changé la valeur des écrits de Leroy, aux yeux de plusieurs. Beaucoup ont mal réagi, ont trouvé qu'elle était allée trop loin. Elle a même été poursuivie pour fausse représentation», raconte Marie Brassard, qui a eu la chance de s'entretenir avec Laura Albert.

«Cette histoire a été une grande catastrophe dans sa vie. Mais elle a dit que le personnage de JT vivait vraiment à l'intérieur d'elle», évoque Brassard.

La musique des néons

Ancienne collaboratrice de Robert Lepage -avec qui elle a travaillé sur La trilogie des dragons, Le polygraphe, Les sept branches de la Rivière Ota et La géométrie des miracles-, Brassard n'a pas peur de faire «bouger» ses spectacles, d'une représentation à l'autre. «L'invisible change constamment. Cela a été difficile pour moi d'accepter que ce spectacle va toujours demeurer insaisissable.»

Elle dit avoir «essayé de créer un organisme vivant». Avec l'apport de ses collaborateurs Alexandre MacSween (aux éclairages) et le compositeur finlandais Mikko Hynninen, Marie Brassard amplifie les interactions entre le mouvement sur scène et les environnements sonores et visuels. «Toutes les sources lumineuses sur scène produisent un son, autant les projecteurs, les néons que les ampoules», de souligner Marie Brassard.

Marie Brassard espère continuer à pousser son travail plus loin, «dans une direction qui serait moins narrative, plus abstraite, davantage du côté de l'évocation». Elle aime l'idée de laisser au spectateur des plages incompréhensibles. Parce qu'il y a toujours, dans toute réalité, des éléments impossibles à analyser. Ultimement, elle cherche à renvoyer le public à ses propres questionnements, son propre rapport aux choses mystérieuses.

«Les gens ont peur de se perdre ou d'être dans un endroit qu'ils ne peuvent pas définir. Moi, je pense qu'il est important de s'aventurer dans ces endroits-là», soutient celle qui, le mois prochain, donnera à New York 17 représentations de son solo Jimmy, créature de rêve.

Artiste qui vit pour et par la tournée internationale, depuis de nombreuses années, Marie Brassard est évidemment navrée par toutes les coupes dans les budgets alloués aux artistes. «Quand on était jeunes, les délégués culturels nous ont aidés à construire des liens, à développer des circuits. Sans eux, certains de nos artistes les plus reconnus n'auraient pas la carrière qu'ils ont maintenant», estime-t-elle.

Quant à sa propre création, son propre avenir, elle a comme seul souhait de continuer de créer et de diffuser son travail partout dans le monde. «Mon désir est que ça continue encore.»

Ce que Marie veut, Marie seule le peut.

L'invisible, texte, mise en scène et interprétation de Marie Brassard, du 29 avril au 2 mai à l'Usine C.