Il y a un an, une bête nommée Dragon bleu déployait ses ailes à Châlon-en-Champagne, en France. Puis, elle s'est exercée en anglais à Los Angeles, avant de revenir dans la langue de ses créateurs à Ottawa et Québec. La voilà qui se pose pour six semaines à Montréal. Au café du TNM, nous avons rencontré Marie Michaud, côté yin de cette créature bicéphale. Dans Le dragon bleu, l'actrice se transforme en publicitaire qui échoue à Shanghai chez un vieil ami, un dénommé Pierre Lamontagne.

Pour une actrice peu habituée à donner des entrevues («ce sont souvent de plus grandes vedettes qui font les promos»), Marie Michaud se livre de manière tout à fait affable et limpide. De l'aventure du Dragon bleu, qui la fera vivre dans ses valises jusqu'en 2010, elle dit que c'est «un merveilleux cadeau de 50 ans».

 

Elle en fait facilement 10 ans de moins, cette comédienne de théâtre qui cosigne et joue dans Le dragon bleu, plus de 20 ans après s'être donnée corps et âme à la titanesque Trilogie des dragons. L'aventure du Dragon bleu lui va à merveille. De toute évidence, elle est comme un poisson dans l'eau dans le mode «work in progress» qui fait la marque des spectacles de Robert Lepage. «Je me demandais ce qui était arrivé au personnage de Pierre Lamontagne», évoque Marie Michaud, en revenant sur son retour dans le giron de Lepage, après deux décennies.

Ils n'avaient pas travaillé ensemble, depuis leurs années dans la Ligue nationale d'improvisation. Avec une famille à élever, le théâtre globe-trotter façon Ex-Machina convenait mal à Michaud. Or, ses oisillons sont devenus grands, et la voilà prête à décoller à nouveau. Et créer. «Je savais qu'on se retrouverait un jour, Robert et moi», dit celle qui a connu Lepage dans les années 80. Élève au Conservatoire, elle a joué dans un collage de textes de Woody Allen, orchestré par Lepage. «Déjà à l'époque, on savait qu'il avait du génie.»

En 2006, quand il l'a sollicitée pour Le dragon bleu, Lepage était pris d'un goût de partager la scène, après plusieurs années de Face cachée de la lune, le Projet Andersen et autres projets solos. Les sujets de la pièce (la Chine contemporaine, le besoin de transmission, les amours tumultueuses, le rapport à l'art...) se sont imposés dans des ateliers d'improvisation. «Notre écriture est scénique, pas littéraire. Le texte arrive toujours en dernier, puisqu'il continue de bouger jusqu'à la fin», prévient Michaud, qui qualifie de «jeune» la mouture qui sera vue à Montréal.

Surprises de Shanghai

Pendant toute la durée de notre entretien, Robert Lepage brille par son absence physique. Trop occupé par ses nombreux projets, il a décliné toutes les demandes d'entrevue pour Le dragon bleu. Or, on ne le sent jamais très loin, tellement sa méthode créative habite Marie Michaud.

«Robert accorde la même attention à chaque spectacle. Sa grande qualité, c'est d'être complètement là. Lorsque sa période Dragon bleu est finie, il est capable de plonger dans un autre Moulin à images. Il a une capacité de concentration phénoménale et une santé exceptionnelle. Il délègue beaucoup, laisse beaucoup de place à ses collaborateurs, nous fait complètement confiance», confie Marie Michaud.

Lepage et Michaud ont tous les deux connu la Chine par Hergé et Tintin et Le lotus bleu. Bien que fasciné par l'Orient, Lepage n'avait pas encore foulé le sol chinois, avant les recherches pour Le dragon bleu. Quant à Marie Michaud, elle connaissait le Hong-Kong d'avant l'indépendance, mais n'avait jamais mis les pieds en Chine.

«Avec Robert, il n'y a pas de censure dans le travail. Cela nous amène dans des avenues formidables», poursuit l'actrice, qui a séjourné à Shanghai avec Lepage, pour s'imprégner de l'atmosphère de la Chine contemporaine et comprendre la nouvelle génération d'enfants uniques. «Nous avons eu envie de tâter le pouls de cette ville. Shanghai est une ville en transformation complète. Au départ, mon personnage devait être une journaliste. Mais après avoir vu tellement de pubs qui placardaient Shanghai, nous avons décidé qu'elle travaillerait dans le monde de la pub.»

Les Claire Forêt et Pierre Lamontagne campés par Michaud et Lepage sont des anciens amants qui se sont connus aux Beaux-Arts. «Un genre d'ex-couple, d'amis-amants sporadiques», signale Marie Michaud. Un troisième personnage, une jeune artiste chinoise (défendue par la danseuse Tai Wei Foo) complète cet exotique tableau.

«Pierre est allé en Chine avec de grands idéaux communistes. Il se retrouve à 50 ans en pleine désillusion, il se questionne sur ce qu'il a fait de son talent. Claire, à 46 ans, est quant à elle déterminée à avoir un enfant. Son talent, elle l'a mis au service de la publicité, de l'argent. Elle se retrouve aussi dans une étape de sa vie où elle est davantage attirée par les femmes. La pièce transmet toute cette complexité dans les relations humaines», révèle Marie Michaud.

On comprend que l'anecdotique côtoie le philosophique et l'existentiel, dans ce spectacle d'à peine deux heures. Le triomphe du communisme, l'ouverture à l'autre, la transmission, la nouvelle génération d'enfants uniques hyper choyés, le désir tardif d'enfant... Lepage et Michaud se lancent tête première dans le ventre du dragon.

Après Montréal, Le dragon bleu mettra le cap sur Berkeley, avant de prendre une pause jusqu'à l'automne. Henri Chassé remplacera Lepage au cours de la tournée européenne du Dragon, qui se conclura à Paris en décembre. «Je vis dans une valise. C'est parfait. J'adore ça», confie Marie Michaud, qui espère tourner avec son art jusqu'à 75 ans.

«Choisissez un travail que vous aimez, et vous n'aurez pas à travailler un seul jour de votre vie», a dit Confucius. Marie Michaud devait être chinoise dans une autre vie...

Le dragon bleu, de Robert Lepage et Marie Michaud, mise en scène de Robert Lepage, du 21 avril au 29 mai au Théâtre du Nouveau Monde.