De retour en ville, après une pause de six semaines, j'étais curieuse de savoir quels spectacles incontournables j'avais loupés. On m'a dit du bien de La charge de l'orignal épormyable, au TNM, et de Sauce brune, à Espace Libre. Mais bon, en toute honnêteté, j'avais très peu envie de me vautrer dans la noirceur d'un théâtre, après un mois et demi de soleil, de balades en rickshaws en évitant les vaches sacrées, de yoga et de Bollywood.

Malgré les 11 heures de décalage horaire qui me faisaient cogner des clous devant Virginie et mon sac à dos qui désespérait d'être un jour éventré, je me sentais pourtant investie d'une priorité: me joindre aux pèlerins de l'Usine C, venus se prosterner au temple de Brigitte Haentjens.

 

De cette metteure en scène qui ne se concède aucun raccourci intellectuel, j'admire la rigueur, l'audace, la clarté et surtout la cohérence.

À mes yeux, monter un spectacle intime sur Virginia Woolf (Vivre) après avoir célébré dans l'opulence la douloureuse maternité (Tout comme elle) était d'une logique parfaite. Poursuivre la lancée avec une lancinante version du cauchemar de la suicidée Sarah Kane (Blastée) prolongeait un dialogue avec le public, amorcé depuis déjà une dizaine d'années par Sybillines. Dans le monde de Brigitte Haentjens, les Sylvia Plath, Louise Dupré, Bernard Koltès, Marguerite Duras, Virginia Woolf et Sarah Kane deviennent des cousins d'esprit réunis par une filiation théâtrale.

Qu'a fait Haentjens avec le Woyzeck de Georg Büchner? Une oeuvre chorégraphiée, qui passe par les veillées de gigue québécoises d'antan et le conservatisme des années 1950 pour parler de bas instincts et de répression, d'austérité, de jalousie, de l'éternelle insatisfaction des aliénés. Une relecture sans trahison d'une pièce mille fois montée et déconstruite. Une pièce éminemment inclusive, dont l'esthétisme achevé - grâce à la saisissante scénographie d'Anick LaBissonnière - sert parfaitement la proposition.

Pendant ces deux heures à l'Usine C, mon décalage horaire était la dernière de mes préoccupations. Rivée au bout de mon siège, j'étais tout bêtement admirative devant le colossal travail qu'a exigé cette production. Pour conserver l'esprit de la pièce tout en la transperçant d'extraits de chansons québécoises, de chorégraphies de gigue, de langage populaire. Et surtout pour puiser le meilleur de chacun des acteurs de la production.

Au prochain FTA, Haentjens s'associe à Anne-Marie Cadieux pour créer un spectacle inspiré par un ouvrage de la photographe française Sophie Calle. Cette rencontre artistique entre une artiste qui s'expose comme le sujet principal de son oeuvre et une metteure en scène qui va toujours plus loin dans l'exploration du territoire féminin est d'une évidence implacable.

Normal. Elle n'est capable que de cohérence.