Les lumières de la salle ne sont pas encore éteintes qu'un étonnant technicien essaie tant bien que mal de monter les trois marches menant à la scène. Peine perdue, celui-ci ne parviendra jamais à les grimper sans s'empêtrer dans ses baskets. Le premier clown rouge vient d'entrer en piste, pour ne plus en ressortir... pour notre plus grand bonheur.

Le Théâtre de l'Aubergine offre ces jours-ci aux enfants de 6 à 12 ans un spectacle de clown qui frôle la perfection. Le récit, d'une simplicité qui sied bien au genre, s'articule autour de la représentation dite «sérieuse» d'un groupe de musique composé d'un batteur, d'un contrebassiste et d'une chanteuse tyrannique, Mme Soiz.

Or, rien ne se déroule (évidemment) comme prévu, les fils s'emmêlent, le décor tombe, les décrochages se multiplient, les cellulaires sonnent, les instruments se désaccordent, le ukulélé disparaît et, bien sûr, une panne de courant survient. Vous aurez compris que la représentation n'aura jamais lieu, le spectacle reposant sur l'acharnement du groupe à vouloir la commencer sans succès.

Il en résulte une telle complicité avec le jeune public que la salle est rapidement galvanisée. Il faut voir les deux clowns blancs, le présentateur prétentieux et l'autocrate Mme Soiz, tenter de réduire les dégâts du batteur timide maladif et du technicien benêt, les deux clowns rouges.

Ajoutez à cela un chanteur classique raté qui cherche à pousser la chansonnette alors qu'il doit se contenter de jouer les seconds violons et vous obtenez un spectacle désopilant qui cumule autant les gags classiques (et toujours efficaces) que des gags très inventifs, tel ce duel musclé où les armes ne sont que des sons ou l'hilarante danse du poteau du présentateur déchaîné qui s'imagine en croisière.

Cette création (collective à en lire le programme) lie également plusieurs disciplines sans qu'il n'y paraisse. Un formidable numéro de jonglerie avec de simples sacs en plastiques côtoie aisément une jouissive performance rythmique et ce, toujours dans l'esprit de la cavalcade de gaffes.

L'annonce d'un «moment Shakespearien» et le délire de l'un des clowns permettent aux acteurs non seulement de réaliser quelques acrobaties (toujours ridicules) mais surtout d'ajouter de la poésie à cette série de bourdes.

On plonge alors dans la mer avant de comprendre qu'il s'agit plutôt de l'intérieur d'un aquarium voué à être fracassé. Le rêve prend fin et pourtant, le réel cauchemar se poursuit toujours: The show must go on. Le public est là et il faut du «tempo», comme le scande la chevelue Mme Soiz.

Bien sûr, il y a quelques longueurs, que l'on pardonne très vite devant l'évidente maîtrise de l'art clownesque de toute l'équipe, du réflexe de répétition à l'humilité des acteurs. Réjouissant!

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Aaatchoum! du Théâtre de l'Aubergine, jusqu'au 11 avril à la Maison Théâtre. Infos: 514-288-7211 ou www.maisontheatre.com