La pièce L'effet des rayons gamma sur les vieux garçons n'a pas d'inusité que son titre. Son succès américain a été tardif et pourtant spectaculaire, et sa création québécoise a écrit une page d'histoire. Rencontre avec les trois comédiennes qui devront donner vie à des personnages vivant dans «une cage à lapins».

Sylvie Drapeau, Catherine De Léan et Émilie Bibeau m'attendent dans la petite sal le de répétition du Rideau Vert où l'interview aura lieu. Mais pour la photo, nous traversons la rue Gilford et pénétrons dans le théâtre, où le décor est monté depuis la veille. «C'est un gros bordel, parce que la pièce le veut ainsi «, prévient Sylvie Drapeau.

 

Béatrice, qu'elle incarne, vit avec ses deux filles dans un ancien magasin de légumes dont les fenêtres sont recouvertes de papier journal. «Vous savez pourquoi on appelle ça des vieux garçons?» me demande Sylvie Drapeau à propos des fleurs (marigolds) que Mathilde, fille de Béatrice, expose aux radiations du cobalt 60 pour un projet scolaire. Sa réponse suit aussitôt: «Parce que ça sent le renfermé. « Catherine De Léan, qui incarne Mathilde, attrape la balle au bond: «Ça doit vraiment puer dans notre maison. Ça m'a frappée tantôt quand on est entrées dans le décor: ça doit vraiment sentir le renfermé, la lumière n'entre jamais, imagine!»

C'est dans cette «cage à lapins» l'expression est de Sylvie Drapeau que se terre Béatrice, à l'abri de l'humiliation du regard extérieur. C'est là, avec un vrai lapin et Mémère (Monique Joly), une vieille dame qu'elle garde pour subvenir aux besoins de sa famille, que Béatrice communique son déséquilibre à ses deux filles: Rita (Bibeau), qui lui ressemble dangereusement et Mathilde, qui «porte la lumière de la pièce «, selon Sylvie Drapeau. Même que s'il n'en tenait qu'à elle, Béatrice n'enverrait pas ses deux filles à l'école où on l'a jadis traitée d'exaltée, un mot qui lui fait encore l'effet d'un coup de poignard.

«C'est ce que nous a dit René Richard (Cyr, le metteur en scène): pour Béatrice, le monde extérieur c'est de la merde, il va blesser ses filles comme il a cassé Béatrice, explique Sylvie Drapeau. Au début, je trouvais ça atroce qu'elle empêche ses filles d'aller à l'école, mais l'effet du rejet sur Béatrice en a fait un monstre. À l'école, on a voulu l'écraser parce qu'elle était un peu différente, ça semble être le point où tout a cassé en elle.»

Pourtant, cette femme qui rêvait de devenir danseuse et dont le destin a été détourné par la mort de son père et un mariage désastreux «se démerde, c'est une batailleuse», fait remarquer Émilie Bibeau. Sylvie Drapeau enchaîne: «Elle a un gros instinct de survie parce qu'elle a de l'humour malgré tout; bon, c'est le festival du sarcasme, de l'ironie, mais c'est pas grave, elle a de l'humour.»

«On dirait que c'est aussi pour se désennuyer qu'elle est comme ça, elle est son propre théâtre, son propre public et sa propre actrice principale, ajoute Catherine De Léan. Elle n'a rien à faire de sa journée que de parler au téléphone et s'occuper d'une vieille, donc elle s'invente des histoires, elle scénarise.»

«Elle s'invente une vie qu'elle n'a pas eue», résume Émilie Bibeau.

La signature de Michel Tremblay

On imagine que Michel Tremblay a dû s'amuser en adaptant cette pièce tellement le texte que les comédiennes se mettent en bouche porte sa signature. «Il a dû avoir un coup de coeur devant cette oeuvre d'un très jeune homme (25 ans) «, dit Sylvie Drapeau.

Chose certaine, Tremblay a fait vite. Il a vu The Effect of Gamma Rays on Man-in-the-Moon Marigolds de Paul Zindel à New York en mai 1970 et la première a eu lieu au Quat'Sous quatre mois plus tard. C'était la toute première foisqu'une oeuvre théâtrale des États-Unis était traduite par un Québécois. L'auteur des Belles-soeurs avait du pif : l'année suivante, cette pièce pourtant montée dans des théâtres régionaux depuis cinq ans avant d'atterrir «off» Broadway valait à son auteur un prix Pulitzer.

L'effet des rayons gamma sur les vieux garçons n'a été montée que deux fois au Québec : par André Brassard en 1970 et par Claude Maher, chez Duceppe, en 1982. Chaque fois, le rôle de Béatrice a été confié à une comédienne d'exception, Denise Pelletier puis Hélène Loiselle, entourées de partenaires plus jeunes comme Rita Lafontaine et Markita Boies

«Catherine, Geneviève (Schmidt, qui joue le rôle de la rivale de Mathilde, Jeannine Trépanier) et moi, on a toujours rêvé d'être comédiennes et c'est tellement enrichissant de se retrouver avec Sylvie DrapeauetMonique Joly, ditÉmilie Bibeau. Il y a comme une notion de transmission, de legs, même si c'est inconscient. Sylvie est audacieuse, elle essaie toutes sortes de choses et nous sommes privilégiées d'avoir accès à ça.»

Catherine De Léan abonde: «Au début, Sylvie répétait ses monologues et je suis venue juste pour voir comment elle travaillait. Elle disait qu'elle se sentait comme une infirmière à qui on venait de donner un texte à jouer: «Je ne sais pas comment faire, je ne sais pas par où entrer.» Je l'ai vue jouer 14 fois au théâtre des personnages gros comme ça et elle ne sait pas par où entrer? Wow! c'est beau.»

ENTRÉE EN SCÈNE

CABARET NEIGES NOIRES, à la salle Le Trac du Collège Montmorency, du 24 au 27 mars.

L'EFFET DES RAYONS GAMMA SUR LES VIEUX

GARÇONS, au Théâtre du Rideau vert, du 24 mars au 18 avril.

THE AGE OF AROUSAL, au Centaur, du 24 mars au 19 avril.

TRYST, au Centre Segal, du 25 au 29 mars.