En août dernier, La Presse a réuni Michel Côté, Marcel Gauthier et Marc Messier dans les locaux du défunt théâtre des Voyagements, boulevard Saint-Laurent, où est née la pièce Broue. Tout le monde connaît le succès de Broue, mais pas sa genèse. Retour dans le temps à l'occasion du 30e anniversaire, le 21 mars, de la pièce la plus populaire de l'histoire du théâtre québécois.

«Marcel est complètement dans les patates. Il s'est trompé de porte. Je vais le chercher», lance Marc Messier. «Il faut bien qu'il y en ait un qui vieillisse, dans la gang!» rigole Michel Côté. «Ici, c'était une manufacture de sacs», indique-t-il plus sérieusement.

Nous sommes au 5145, boulevard Saint-Laurent, au défunt théâtre des Voyagements, où Broue est née le 21 mars 1979. À l'époque, il n'y avait rien dans cette section du Mile-End, au nord de la rue Laurier. «C'était assez taudis!» lance Marc Messier.

«Avant, on louait un théâtre dans le Vieux-Montréal, à la Maison de la Sauvegarde, raconte Marcel Gauthier. Cet endroit a été vendu et nous voulions avoir notre place à nous.»

Michel trouve alors le local d'une ancienne manufacture. La troupe avait déjà trois productions à son actif, mais disons qu'elle jouait souvent «à guichets ouverts», blague Marcel Gauthier. «À ce moment-là, on faisait du théâtre poétique.»

Pendant un an et demi, les trois jeunes comédiens bâtissent le théâtre de leurs propres mains. Ils défoncent le mur qui séparait deux appartements, construisent des loges en bas. « Nous avons creusé une tranchée à la petite pelle pour les changements de costumes «, se rappelle Michel Côté.

«Quand tu deviens propriétaire de théâtre, tu veux le remplir, poursuit-il. Ça faisait un an et demi qu'on travaillait à l'huile de bras sans aucune maudite cenne. On s'est dit: ce serait l'fun de faire un show qui pogne.»

Un soir, Marcel apprend à la radio que les tavernes vont fermer. «Voilà, nous avions notre sujet, raconte Marc Messier. Nous allions saluer la fin de cette tradition et reproduire de façon sarcastique le comportement des hommes à la taverne.»

«Comme le théâtre nous appartenait, nous pouvions nous mettre à l'affiche aussi longtemps qu'on le voulait», ajoute-t-il.

Mais un mois et demi avant la première, la troupe n'a toujours pas de pièce. Les comédiens demandent donc à des auteurs d'écrire des sketches à trois personnages dans une taverne. Le délai: deux semaines. Finalement, les textes de Claude Meunier, Louis Saïa, Jean-Pierre Plante et Francine Ruel sont retenus.

Le soir de la première, le 21 mars 1979, la troupe avait répété à peine trois semaines. Les textes étaient cachés un peu partout. Messier était malade et «drogué» à l'Ornade, un décongestionnant.

Mais c'est un triomphe. «Les critiques ont été unanimes. Les gens sont venus tout de suite. On n'arrêtait pas de jouer», relate Marc Messier. «Le plaisir d'aller voir chaque soir le cahier des réservations et de crier: C'est plein, c'est plein!» renchérit Michel Côté.

Le trio n'oubliera jamais quand Marcel s'est assommé sur un tuyau lors d'un changement de costume à la cave. «Tout le monde a entendu le «boooooong», raconte Marc Messier. Nous avions fait une trappe pour permettre au serveur de descendre. On se demandait si Marcel allait être capable de remonter.»

Complet pendant deux ans

Le théâtre des Voyagements ne comptait que 80 places. Les spectateurs avaient les pieds sur la scène. Quand les personnages quittaient la taverne, ils sortaient littéralement à l'extérieur. «Quand les entrées se faisaient le soir et qu'il neigeait, c'était extraordinaire. Pointu rentrait, il essuyait la neige sur ses épaules. Le vent entrait et les gens avaient froid. C'était très participatif», blague Messier.

Broue a été jouée 28 fois lors de la première série de représentations. Entre-temps, le théâtre des Voyagements a présenté Bachelor, de Louis Saïa et Louise Roy, de même que d'autres pièces comme Appelez-moi Stéphane, de Saïa et Meunier.

Pendant deux ans, le théâtre a pratiquement toujours affiché complet. Mais le ministère du Travail a forcé les propriétaires à mettre la clé sous la porte parce qu'il n'y avait pas de ruelle en cas d'évacuation.

Quand l'établissement a fermé, Jean Duceppe avait déjà pris Broue sous son aile. Trente ans plus tard, plus de trois millions de personnes ont vu les 18 personnages de la pièce boire à la taverne Chez Willy. «Nous sommes partis d'une petite salle de 80 places et nous avons joué 2900 fois», dit Michel Côté.

«Nous étions jeunes, dans ce temps-là, rappelle-t-il. On jouait des bonhommes. Aujourd'hui, c'est une autre affaire!»

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Broue, à Valleyfield les 23 et 24 mars, à Sainte-Thérèse les 26 et 27 mars, à Alma le 31 mars et à Chicoutimi les 1er, 2 et 3 avril.