Convier à une même table Serge Postigo et Denise Filiatrault, c'est ouvrir la porte à de savoureux commentaires à l'emporte-pièce, de jolis débordements d'affection et quelques critiques exprimées sans détour. Si on est chanceux, on aura aussi droit à une séance de cabotinage à la Ti-Gus et Ti-Mousse, suivie de sorties en règle contre les spectacles de plus de 90 minutes. «Je me prive d'aller au TNM, même si ça a l'air bon, parce qu'on me dit que c'est long. Ça ne m'intéresse pas de faire ma liste d'épicerie au théâtre!», lance Denise Filiatrault. Or, on l'avait presque oublié, je les avais surtout convoqués pour parler de Ma femme c'est moi, au Rideau Vert. Alors allons-y...

«Quand Jean-Guy Legault m'a proposé cette pièce (Ma femme c'est moi), j'ai dit oui avec plaisir. Lui, il n'en démordait pas: il voyait Serge (Postigo) dans le rôle. Mais pas moi. Je trouvais Serge trop jeune pour ce personnage», relate Denise Filiatrault, dans un café du Vieux-Montréal.

 

Heureusement, Serge Postigo n'a pas été vexé par les réserves de la directrice artistique du Rideau Vert, qu'il a connue en 2001, avec Comédie dans le noir à Juste pour rire. «Jean-Guy m'a téléphoné et m'a dit: «Elle veut pas! Je fais quoi?» Faut pas croire que parce que Denise m'aime bien, je vais jouer dans My Fair Lady ou n'importe quelle pièce du Rideau Vert», lâche le comédien, animateur et bientôt metteur en scène (il s'attaquera l'été à prochain Boeing Boeing, la comédie annuelle de Juste pour rire), qui endossera seul en scène les 37 rôles de Ma femme, c'est moi.

«Quand je l'ai vu en répétition, j'ai changé d'idée. Que voulez-vous: Serge est un surdoué, le talent lui sort de partout», concède Filiatrault.

Texte pour un acteur qui a valu à l'auteur américain Doug Wright le prix Pulitzer en 2004, Ma femme c'est moi est l'histoire de Charlotte von Mahlsdorf, un travesti est-allemand qui a vécu les années nazies et l'ère communiste. «Il a été au coeur de ces deux régimes. Pour certains, il est reconnu comme celui qui a conservé le design allemand. Avec son bar, il a offert un lieu de refuge pour la communauté gaie d'Allemagne de l'Est.»

Ma femme c'est moi est née d'une série d'entrevues que Doug Wright a réalisées avec von Mahlsdorf, qui a échappé au nazisme avec son allure étrange. «Les gens ne savaient pas s'il était un homme ou une femme, ce qui le rendait peu menaçant», relate Postigo.

La patronne, c'est elle

Traîne-t-elle souvent en salle de répétition, la patronne du Rideau Vert? «Non. Je suis un paquet de nerfs. Je fais chier le metteur en scène. Je dis trop ce que je pense et il ne faut pas. De toute façon, je trouve toujours ça trop long», confie Madame Filiatrault, qui s'inquiète justement que Ma femme, c'est moi, qui fait 1h40, ne s'éternise trop longuement.

«Comme le disait Gratien Gélinas, il ne faut pas demander à la tête d'en prendre plus que les fesses», évoque-t-elle prosaïquement. «Toi, les shows de Wajdi, pas trop, n'est-ce pas?» ajoute en souriant son complice.

Postigo lui fait remarquer que Ma femme, c'est moi est «foutrement bien écrite» et qu'il est difficile de la charcuter. «Il y a des énumérations trop longues et on s'en câlisse. Ils sont tous comme ça, les metteurs en scène: ils veulent tout garder. Ça me rend folle!» s'emporte la dame, qui tempère ses ardeurs en insistant pour dire le respect absolu qu'elle a pour les metteurs en scène. «C'est eux qui signent. Je peux me tromper, je ne détiens pas la vérité.» Il y a aussi la photo de Postigo travesti sur l'affiche du spectacle qui l'achale. «J'étais en tabarnak! Ce n'est pas ça, le personnage!» s'insurge-t-elle.

On devine qu'à quelques jours de la première, de telles envolées sont normales chez celle dont le tempérament bouillant n'est plus un secret. Le truc pour gagner son respect et son amitié professionnelle, à en juger par la sérénité de Serge Postigo, est de rester cool et d'aimer se mettre en danger. «Je n'ai pas peur de me tromper, mais je revendique le droit à l'erreur. Ce n'est pas pour flatter Denise, mais ce que je souhaite, c'est qu'à 77 ans, j'aie autant qu'elle le guts d'essayer toutes sortes de choses.»

Madame «coups de coeur»

«C'est gutsy, c'est une pièce intéressante qui valait la peine d'être montée», soutient la directrice artistique, qui compose ses saisons au gré de ses coups de coeur. Postigo, pour sa part, ajoute que c'est le genre de pièce qui trouverait aussi son public à Espace GO ou à La Licorne.

Filiatrault connaissait-elle Jean-Guy Legault avant de l'embaucher pour la mise en scène de la pièce hivernale du Rideau Vert? «De nom seulement. En fait, j'avais vu une de ses pièces, Huit femmes, que j'avais haïe pour tuer. Mais c'était la faute de la pièce, pas de sa mise en scène. Moi, quand les Français essaient de faire de la comédie musicale, je deviens folle!»

Parlant de comédie musicale, semblerait qu'Un violon sur le toit (prévu en mai prochain) marquera la fin d'un cycle pour la «Grand Jaune», après Cabaret, My Fair Lady, Neuf et Sweet Charity. «C'est trop cher à produire. Sweet Charity a perdu de l'argent l'été dernier», dit celle qui compte tirer sa révérence du Rideau Vert lorsqu'elle atteindra l'âge vénérable de 80 ans. «Je ne te crois pas. Tu ne voudras pas te battre avec des directeurs de théâtre pour les convaincre de faire tes projets. Tu vas rester là», lui lance Postigo.

Quand on la félicite d'avoir remis le Rideau Vert sur ses rails et d'avoir permis au théâtre de célébrer cette année ses 60 ans, Denise Filiatrault reste prudente. «Si le théâtre retombe, tout le monde va dire que c'est ma faute.»

Soyez rassurés, elle a encore la flamme dans les yeux. Et aussi du guts à revendre. «On n'est pas fait en plywood! Moi, quand je ris de mes gags, je suis certaine que ça va marcher!»

«Mais quand tu ne ris pas, on le sait aussi», s'amuse son complice.

Pas de doute: ce duo est fait pour s'aimer.

Ma femme c'est moi, de Doug Wright, traduction de René-Daniel Dubois, dans une mise en scène de Jean-Guy Legault, du 3 au 28 février au Théâtre du Rideau Vert.