Fermetures d'usine par-ci. Pertes d'emploi par-là. Les portefeuilles boursiers fondent comme neige au soleil. Après l'obamanie, la récession est un sujet qui s'invite dans toutes les conversations. Le monde du théâtre montréalais s'inquiète aussi des répercussions qu'elle aura sur sa santé. Mais pour l'heure, on touche du bois: contrairement aux institutions culturelles new-yorkaises, qui mangent leur pain noir, les théâtres montréalais se portent plutôt bien.

«Cette année a été très bonne. Mais il est certain qu'on ne fera pas de folies. On ne s'achètera pas une van avec les surplus!» lance Marie-Thérèse Fortin, directrice artistique du Théâtre d'Aujourd'hui.

 

L'automne dernier, alors que la morosité était de tous les bulletins de nouvelles économiques, ce théâtre de la rue Saint-Denis annonçait des supplémentaires de Seuls, de Wajdi Mouawad, et Bob, de René-Daniel Dubois.

«On m'a raconté qu'au début des années 90, alors que l'économie allait mal, les théâtres montréalais n'avaient pas connu de baisse de fréquentation. En fait, les gens sortaient pour oublier que ça allait mal. Comme le théâtre n'est pas très cher, cela reste un divertissement accessible et convivial. Par contre, ce qui me fait peur, c'est que le divertissement domestique est aujourd'hui plus développé. Dans le cas d'une récession, les gens auront-ils le réflexe de rester chez eux et de se divertir avec la WII ou l'internet?»

Pour la directrice artistique du seul théâtre montréalais entièrement voué à la dramaturgie québécoise, le spectre d'une récession se manifestera surtout dans la programmation de la saison 2009-10. «Il faudra proposer des pièces qui vont rejoindre un maximum de gens. Cela signifie évidemment de prendre moins de risques artistiques, de ne pas aller vers des auteurs moins connus. On verra...»

Selon Claude Martin, spécialiste de l'économie des industries culturelles au département de communication de l'Université de Montréal, les programmations des théâtres auront davantage d'incidence sur la fréquentation des théâtres qu'une récession dont on ne voit pas encore les impacts.

«Qui va au théâtre? Ce ne sont pas les gens les plus défavorisés. Il y a aussi plusieurs compagnies qui vivent grâce aux publics scolaires. Les commissions scolaires cesseront-elles d'amener les jeunes au théâtre? Non. Je ne pense pas que le pourcentage de la population qui va au théâtre est celui qui sera le plus gravement atteint par la récession», dit le chercheur, qui estime toutefois que les directeurs de théâtre auront tout intérêt à composer des programmations plus «populaires.»

Le théâtre protégé? Pour combien de temps?

Le Théâtre du Nouveau Monde, qui a aussi connu un automne fructueux, annonçait la semaine dernières des supplémentaires pour son dernier spectacle Le mariage de Figaro. Mais le succès n'empêche pas la directrice artistique du TNM, Lorraine Pintal, de se préparer à ce que les commanditaires soient moins généreux.

«Du côté du financement privé, nous n'avons pas encore reçu de signaux négatifs de la part de nos partenaires. Au contraire, ils nous confirment leur appui. Cependant, il sera peut-être plus difficile de développer de nouveaux partenariats», pressent la femme de théâtre, lucide malgré son habituel enthousiasme.

Du côté des plus petites compagnies, on entrevoit l'avenir avec prudence et une certaine inquiétude. Le Théâtre de l'Opsis, par exemple, a observé une légère baisse des billets vendus à plein prix. Et il y a aussi l'incertitude du financement privé, aussi minime soit-il, qui plane comme une épée de Damoclès. Or, la menace n'est pas comparable à ce qui s'est passé aux États-Unis, où les théâtres survivent grâce aux capitaux privés.

«Les gens sont portés à économiser. À un moment donné, cet automne, on a constaté que les samedis se vendaient moins bien», évoque Luce Pelletier. Selon la directrice artistique de l'Opsis, le défi sera plus grand de présenter «le spectacle qui fait bouger tout le monde», dans un contexte où les gens seront plus enclins à surveiller leurs dépenses.

«L'offre est immense à Montréal. Ce sera plus difficile de tirer son épingle du jeu», exprime celle qui, ironiquement, présente cet hiver une pièce qui se déroule dans les années 30, en pleine crise économique.

Des théâtres inoculés contre le virus de la récession, il y en a. La Licorne par exemple, qui, comme d'habitude affiche, un taux de fréquentation de 100%. «Jamais les impératifs économiques ne nous influenceront dans le choix des programmations. Si on pense comme ça, on se met à faire des choses pépères», tranche le directeur artistique de La Licorne, Jean-Denis Leduc.

«Peut-être que les concerts à 300$ le billet au Centre Bell vont écoper. Mais le théâtre pourrait mieux s'en tirer, puisque ce n'est pas une énorme dépense», évalue Claude Martin.

Le coût abordable d'une sortie au théâtre, selon Luce Pelletier, aidera probablement à la survie de l'art vivant, en temps de morosité économique. «Les gens vont certainement vouloir continuer de sortir de leurs maisons. En période de déprime, il n'y a rien de pire que de se ghettoïser.»