Une critique virulente de la société soviétique émergente des années 20. Une dénonciation de l'intérieur des effets d'un régime totalitaire sur les individus. L'auteur russe Mikhaïl Boulgakov (né à Kiev en 1891) demeure aujourd'hui l'un des auteurs les plus lus en Russie. Dirigé par Gregory Hlady, le comédien Paul Ahmarani incarne, dans Coeur de chien, un bon toutou transformé en « Homosovieticus «. À quelques jours de la première, au Théâtre Prospero, Ahmarani nous parle de ce texte d'une grande actualité.

«La dénonciation politique par Boulgakov m'a beaucoup touché», tranche le comédien, qui revient sur les planches après sa très remarquée prestation dans Blastée, l'hiver dernier.

 

Dans la mise en scène du texte de Sarah Kane par Brigitte Haentjens - avec qui il collaborera à nouveau en mars, dans Woyzeck - il incarnait un soldat enragé et déshumanisé par la guerre.

Pour Coeur de chien, il se fera canin. «Dans ce symbole du bon chien qui se transforme en «Homosovieticus», il y a une dénonciation de ces gens qui ont véritablement essayé de tirer les ficelles pour se hisser dans l'échelle sociale. Qui ont essayé de gagner les bonnes grâces de tel comité... Tel système devient un culte de la médiocrité.»

Pour rendre cette image du «super prolétaire», de ce système où l'individu n'est plus rien face à la nation, Gregory Hlady s'est inspiré de la dimension «réalisme magique» dans l'oeuvre de Boulgakov. «C'est moins une dénonciation froide et pragmatique d'un système qu'une référence à une imagerie plus large, plus bigarrée. On jongle avec l'inconscient, avec une symbolique mystique et religieuse...»

Les apprentis sorciers

Le spectateur sera ainsi confronté à des images oniriques, à une esthétique baroque. «C'est un gros trip, une grosse machine avec de la musique, des sons, des monologues, des personnages. La mise en scène n'est pas du tout austère, même si le thème l'est peut-être. Ce qui est drôle avec les Russes, c'est que le ton de déconnade alterne avec l'hyper pathétique. Tu ne sais jamais si tu es en train de rire et de pleurer», lance Ahmarani, qui a connu Gregory Hlady lors du tournage du film Le marais, en 2001.

«On tournait en location en plein mois d'octobre, dans des chalets de ski à Stoneham. On vivait coupés du monde! Avec Gregory, j'ai découvert la vodka. On buvait tard le soir, lui et moi, il préparait des super repas.»

Depuis cette rencontre, Gregory Hlady avait en tête de confier à Ahmarani un personnage débridé, burlesque. «Le genre de caricature qu'on sort de nos valises, pour faire rire nos amis.»

Dans Boulgakov, cette nature burlesque pouvait être utilisée. «Cette forme de travail est intéressante», souligne le comédien, qui se dit interpellé par les propositions franches, qui «amènent les gens ailleurs.» «Comme artiste, j'essaie de choisir ce que je voudrais voir comme spectateur.»

Coeur de chien, d'après le roman de Mikhaïl Boulgakov, conception et mise en scène de Gregory Hlady, au Prospero du 20 janvier au 14 février.