Une prise de parole sur une situation monstrueuse. Une version «contemporaine» du conflit maître-esclave où, en situation de guerre, des individus deviennent victimes ou bourreaux. On peut compter sur Denis Marleau pour sonder des zones troubles de l'humanité. Pour Le complexe de Thénardier, une coproduction France-Belgique-Canada, le directeur d'Ubu révèle au public Muriel Legrand, une nouvelle venue d'origine bruxelloise.

C'est sa toute première entrevue à vie. Et franchement, Muriel Legrand s'en tire plutôt très bien.

À la fois candide et réfléchie, la lumineuse jeune actrice belge livre sa pensée critique sur son métier et un certain désengagement de ses congénères. «En Belgique, c'est le théâtre de divertissement qui foisonne. Ça reste souvent propre et gentil. Ceux qui prennent la parole pour critiquer la société viennent souvent de l'étranger», expose sans rancoeur la souriante jeune femme, qui m'avait donné rendez-vous au Café Cherrier, 24 heures après son arrivée à Montréal.

 

Elle parle aussi avec une surprenante franchise de la réaction étonnamment détachée du public européen, à l'endroit du Complexe de Thénardier qui a fait ses débuts au Festival de Limoges à l'automne 2008. «Les gens ont été touchés par les mots et la violence du propos. Mais il n'y a pas eu de réactions vives, de débats d'idées après la pièce», déplore-t-elle.

Or la jeune actrice de 27 ans a la ferme intention de poursuivre un travail fondé sur la prise de parole et l'engagement. «Je n'ai pas tellement envie de faire le mariolle.»

C'est Daniel Cordova (directeur artistique du Manège à Mons), qui l'a incitée à auditionner pour le rôle d'une domestique dans cette pièce à deux, du Franco-Béninois José Pliya.

«En lisant la pièce, j'ai eu un coup de coeur. Mais comme je connaissais les actrices qui auditionnaient, je m'y suis rendue sans trop d'attentes. Ce n'était pas des auditions à la chaîne, mais des rencontres. On a discuté avec Denis et dans les 10 dernières minutes, il s'est passé quelque chose. Peu de temps après, je partais à Montréal et faisait connaissance avec Christiane Pasquier (qui lui donne la réplique dans la pièce).»

La parole

En discutant avec Muriel Legrand, on comprend assez rapidement ce qui l'a fait se démarquer de ses «concurrentes» pour le rôle de cette domestique prise dans un rapport de dépendance avec sa maîtresse qui refuse de la voir partir.

Muriel Legrand évoque ses origines croates et la guerre qui a meurtri une partie de sa famille. Elle parle de cet oncle qui, après son retour du front, est resté muet pendant six mois. Fillette, elle s'est aussi familiarisée à une réalité africaine. «Une amie de mon père, qui était congolaise, s'est beaucoup occupée de mon frère et moi pendant notre petite enfance. Elle possédait un sens de la famille, une façon d'être redevable aux autres. Quand elle est partie, cela a été douloureux, déchirant. Je ne sais pas si avec d'autres femmes européennes, le détachement aurait été plus facile...»

Elle s'incline devant la richesse du texte de José Pliya, le palabreur béninois, qui avec force a décrit une promiscuité installée entre une femme et les domestiques qui partagent sa maison. «Cette femme va utiliser tous les stratagèmes pour la retenir, l'écraser, la rendre plus bas que terre. C'est un duel entre les deux femmes: le personnage de Christiane et le mien ont besoin l'une de l'autre pour aller jusqu'au bout. Elles ne peuvent exister l'une sans l'autre.»

Sur la scène de l'Espace GO, Muriel la Belge rencontrera Christiane la Québécoise dans un duel d'actrices qui promet. «L'éblouissante maîtrise de leur jeu ne révèle que mieux l'absolue profondeur du chaos», a écrit Télérama. Et le Bénin de José Pliya deviendra Sarajevo.

Pour en savoir plus sur la pièce: le film Sarajevo mon amour (2006)