C'était la cohue médiatique au Grand Théâtre, mercredi matin. Robert Lepage et Marie Michaud entretenaient la galerie de leur très attendue création Le dragon bleu, qui commencera le 13 janvier, au Théâtre du Trident. Présentation formelle et entrevue collective terminées, ils se sont prêtés au jeu du confessionnal, scribes et gens de micro se relayant pour ensiler cinq ou six minutes de leurs propos.

Normalement, l'opération aurait dû se faire à l'aube de janvier. Mais comme toujours, Lepage a plusieurs chaudrons au feu et son temps est compté.

 

En ce moment, il répète à la Caserne Eonnagata, avec Sylvie Guillem, ex-danseuse étoile de l'Opéra de Paris. Ça traite du Chevalier d'Éon, agent secret de Louis XV. Un singulier destin d'action dans l'ombre et de travestisme confié au mouvement. Sur les routes d'Europe et d'Amérique du Nord à partir de février.

En autres temps, Lepage planchera sur deux courts opéras de Stravinsky, Le rossignol et Renard, qu'il élabore avec le concepteur américain Michael Curry et le metteur en scène Martin Genest pour sortie en 2009.

En théâtre lyrique toujours, l'ombre monumentale du cycle de L'anneau des Nibelungen, de Wagner, fond sur lui. C'est pour les saisons 2010-2011 et 2011-2012, au Met, à New York. Il peut voir venir, mais c'est pour demain vu l'ampleur du projet.

Il doit aussi conforter sa fresque Lipsynch, et bien sûr bichonner et interpréter Le dragon bleu, en soi une bonne commande. Après le Trident, ce sera Ottawa, la Californie, le TNM en avril-mai, en attendant le festival artistique des Jeux olympiques d'hiver de 2010, à Vancouver, et de nombreuses destinations à confirmer.

Créé à Châlons-en-Champagne en avril dernier, Le dragon bleu marque la fin d'un cycle sur la Chine inauguré par La trilogie des dragons. Ça n'en fait pas une tétralogie pour cela, Lepage y voit une manière de dragon autonome de la fresque originelle, une repousse dont la tige, néanmoins, est un personnage de La trilogie...

De la fantaisie à la dure réalité

Cette oeuvre, rappelons-le, évoque en trois stations totalisant six heures l'histoire du peuplement chinois au Canada, d'est en ouest, et fait ressortir notre attitude contradictoire de méfiance et d'intense curiosité face au mystère de l'Orient.

À la fin, nous voyons un jeune artiste de Québec, Pierre Lamontagne, en conversation avec une jeune boutiquière chinoise de l'aéroport de Vancouver, flirtant avec de nouveaux possibles.

Dans Le dragon bleu, nous le retrouvons en Chine, 20 ans plus tard. Non pas à Hong Kong, d'où est parti un autre personnage de La trilogie..., mais à Shanghai. Il y est galeriste à Monganshan 50, foyer de l'art actuel chinois recyclé des ruines d'un vieux quartier industriel. Nombreux sont les personnages de la constellation Lepage à chercher leur identité au loin; Lamontagne est le seul à avoir choisi l'exil.

Marie Michaud a participé à la création de La trilogie... Elle y campait d'entrée Jeanne, une fillette du quartier Saint-Roch qui, dans les années 30, avec une amie, recrée avec des boîtes à chaussures le drame d'un barbier endetté qui aurait vendu sa fille à un Chinois. Faut-il dire qu'une loi inique a longtemps interdit aux travailleurs chinois installés ici de faire venir leurs dépendants...

Jouissive de spontanéité, la scène reflétait la candeur de ses créateurs face au mystère de la Chine.

«On était dans l'utopie et la fantaisie dans La trilogie..., reconnaît Lepage. Là, on a choisi d'envoyer Pierre Lamontagne en Chine, et c'est une tout autre affaire. Il se mesure là à une dure réalité. On dit du Japon qu'il a beaucoup de passé et de futur, mais pas de présent; en Chine, il n'y a que du présent.»

En somme, on a voulu prendre acte «des années de transition et de rupture» qui ont suivi les événements de la place Tiananmen. «Pierre Lamontagne mesure la tension de tout ça.» D'une Chine complexe et surpeuplée que le boom économique a déposée dans une modernité de paradoxes.

Vingt-trois ans se sont écoulés depuis la création de La trilogie... D'une symbolique fleurie de rêves et de visions d'enfance, on passe à «un jeu beaucoup plus terre-à-terre, beaucoup plus ancré à la réalité», dit Lepage, qui fêtait hier ses 51 ans.

Attirée par le miracle économique dont Shanghai est l'une des grandes vitrines, la publiciste montréalaise Claire Forêt descend chez Lamontagne. Ils se sont bien connus à l'École des beaux-arts, l'émoi du renouement le cède bientôt aux différends, la visiteuse jugeant des choses par le filtre de ses préjugés de Nord-Américaine. Paraît Xian Ling, une jeune artiste protégée de Lamontagne, et la dynamique change. Son état renvoie Claire à un rêve inassouvi...

La fin est ouverte, dit Lepage. «Il n'y a ni bons ni méchants.»

Le dragon bleu, du 13 janvier au 14 février, au Théâtre du Trident de Québec.