Éric Jean a habitué son public à son inclinaison pour un théâtre visuel, esthétique, intuitif. Avec ses spectacles plus inspirés qu'expliqués, qui sont de véritables tableaux vivants, le directeur du Quat'Sous peint plus qu'il ne parle.

Opium_37 ne déroge pas à cette démarche qui rend Éric Jean si unique dans le paysage théâtral montréalais.

Pour ce spectacle que la jeune auteure Catherine Léger et lui ont imaginé pour le tout nouveau Quat'Sous, c'est le Montparnasse de l'élite artistique parisienne qui est recréé dans la salle 2 de l'Espace GO.

 

Un «plan B» qui ne compromet aucunement, d'ailleurs, le résultat final de cette belle aventure. Au contraire. Le plancher exigu convient bien à l'intimité surannée des cafés parisiens, calquée sur l'univers de Georges Brassaï.

Portrait de famille

La pièce s'ouvre sur un tableau saisissant avec des personnages d'une autre époque (Anaïs Nin, June Miller, Antonin Artaud et des créatures issues de l'imagination de Catherine Léger) alignés sur des chaises tout au fond de la scène. Ce qui provoque un envoûtement chez le spectateur, qui se trouve immédiatement captivé par le portrait de famille de ces êtres que l'on devine fascinants.

Notre impression de départ s'avère: chacun des personnages d'Opium_37 est un vaste univers en soi. À commencer par Évelyne Rompré et Ève Gadouas, la première forte et intérieure, la seconde brûlante et amazone, dans la peau d'Anaïs Nin et June Miller. Kathleen Fortin, avec sa voix et sa présence puissantes, incarne avec profondeur et intensité son personnage d'aubergiste. Soulignons aussi la précision de Muriel Dutil, dans le rôle d'une «dame pipi» témoin de son époque et l'apport clownesque de Martine-Marie Lalande, qui compose avec audace et tendresse une prostituée poète.

On est vite impressionné par la somme des talents réunis sur scène, dans ce tourbillon germanopratin qui s'emporte parfois dans des envolées musicales fort jouissives. Un ensemble musical mené par Yann Perreau, qui fait ici une première percée au théâtre. Et souhaitons-lui d'être réengagé par des metteurs en scène, parce que son interprétation d'un dandy vaguement homo et épris de June est tout à fait convaincante.

Inclassable, surprenant, vertigineux... Cet Opium_37 est une séduisante démonstration du talent d'Éric Jean pour transposer sur scène des univers empreints de mystères. Que de bons mots également pour l'auteure Catherine Léger, dont l'écriture fait d'emprunts et d'invention tisse un récit captivant.

Ce n'était peut-être pas les nouveaux murs du Quat'Sous, mais l'esprit de l'avant-garde y était bel et bien. Opium_37 marque le début d'une nouvelle ère pour le théâtre de l'avenue des Pins.

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Opium_37. Texte de Catherine Léger (en collaboration avec Éric Jean), dans une mise en scène d'Éric Jean, à la salle 2 de l'Espace GO jusqu'au 21 décembre.