Les 10 dernières années de Dulcinea Langfelder ont été glorieuses. Victoria, spectacle créé en 1999 et primé au festival d'Édimbourg de 2007, a fait le tour du monde. En septembre 2008, elle s'envolait pour le Japon pour présenter sa nouvelle création, La complainte de Dulcinée. Tout baigne-t-il pour cette native de Brooklyn qui parle un français impeccable et vit sur le Plateau depuis 30 ans? Non, tout ne baigne pas. Sans PromArt, l'avenir est plus qu'incertain pour cette ambassadrice du multidisciplinaire à la québécoise qui, à compter de jeudi, montera sur la scène de l'Espace GO.

L'automne a été émotif, pour Dulcinea Langfelder, qui a été de toutes les manifestations pour dénoncer les coupes du gouvernement Harper en culture. Le jour de notre rencontre, dans son coquet mais modeste appartement - «Si je n'avais pas un loyer si bas, je ne pourrais pas vivre de mon art!» - le nouveau ministre du Patrimoine canadien, James Moore, annonçait que les programmes destinés au rayonnement des artistes à l'étranger ne seraient pas renouvelés.

 

«Pour des compagnies comme la mienne, dont le rayonnement prend la forme de la tournée, c'est vraiment très grave. C'est tellement suicidaire, de retirer ce financement. C'est clair que Stephen Harper ne se rend pas compte que c'est grave pour tout le monde et pas seulement pour une poignée d'artistes. Il y aura des conséquences pour le pays. En ce moment, je ne sais pas comment on va survivre.»

La première fois que j'ai fait connaissance avec Dulcinea Langfelder, c'était au Fringe d'Édimbourg, en août 2007. Pendant les trois semaines du festival, elle a été le «toast of the town», se distinguant du lot des quelque 2000 spectacles au programme.

Au palmarès des spectacles encensés par l'impitoyable critique britannique figurait aussi Traces des 7 Doigts de la main, autre compagnie québécoise dont le rayonnement international est saboté par les coupes du fédéral. «Les programmateurs étrangers disent souvent que ce qui vient du Québec porte une fraîcheur, une originalité, un optimisme. Mais je pense que le Canadien qui vote et ne va pas au théâtre perçoit les artistes qui tournent comme des gâtés qui gagnent plein d'argent.»

Casser la baraque

«La barre est haute», reconnaît Dulcinea Langfelder, qui, depuis 10 ans, a été portée par le succès de Victoria. Dans la Complainte de Dulcinée, elle part à la recherche de l'identité de Dulcinée de Toboso, le fantasme de Don Quichotte.

«C'est un personnage fascinant, on ne sait pas si elle existe vraiment, on peut lui donner l'identité qu'on veut. Elle est des plus féminines, des plus féministes, elle a une grande responsabilité puisqu'elle est la raison d'être de Don Quichotte. J'ai voulu fouiller qui elle était pour imaginer ce qu'elle ressentait, ce qu'elle aurait à dire si elle avait une voix», raconte Langfelder, qui a conservé un air de gamine espiègle.

Si elle a l'habitude de casser le quatrième mur, lors de la conception de ses spectacles, l'artiste déclare qu'elle «casse la baraque au complet» dans ce pèlerinage vers la quête de l'identité de Dulcinée de Toboso.

«Les quatre hommes de l'équipe technique sont sur scène avec moi, ils dansent et ils chantent. Depuis le temps que nous tournons avec Victoria, les artistes et les techniciens sont devenus très soudés ensemble. Ce sont eux qui m'ont demandé de participer à la création.»

Cette nouvelle création qui germe dans l'esprit de Langfelder depuis septembre 2001 est, de l'avis de la principale intéressée, «extrêmement éclectique et loufoque». «C'est une pièce amusante. On crée une fantaisie, qui est tout à fait compatible avec l'esprit de Don Quichotte. Il y a beaucoup de jeux avec la vidéo, d'effets spéciaux, de jeux entre les hommes et Dulcinée, entre la diva et moi, qui ne suis pas du tout diva.»

Pour la dernière fois?

À voir l'enthousiasme et la soif de création dans les yeux de Dulcinée Langfelder, on en vient à oublier qu'elle est l'emblème par excellence de la menace qui plane sur les créateurs de la scène. Initiée à la danse contemporaine à un très jeune âge («j'ai renoncé à la danse parce que je voulais raconter des histoires»), elle est partie à Paris pour étudier le mime avec Étienne Decroux. Là-bas, elle fait la connaissance de Jean Asselin et l'a suivi à Montréal pour travailler avec Omnibus. Ensuite, il y a eu le travail avec Carbone 14 et la fondation de sa compagnie.

Elle aime tout de Montréal, «sauf l'hiver». Mais avec Obama au pouvoir, et la précarité qui la menace, elle lorgne désormais le sud. «C'est peut-être la dernière occasion pour les Montréalais de voir un de mes spectacles. Je ne sais pas ce qui va se passer. Je vais peut-être retourner chez moi, à New York.»

 

Soutien recherché

Pendant le passage du spectacle Victoria au Fringe d'Édimbourg en Écosse, le travail de Dulcinea Langfelder a été remarqué par le directeur du Festival international des arts de Harare, au Zimbabwe. «Quand j'ai assisté pour la première fois à une performance de Victoria, j'ai senti que ce spectacle pourrait changer des choses», a-t-il confié à l'artiste. Mais désormais privée du financement fédéral, Dulcinea Langfelder ne pourra pas participer à ce festival qui se déroule en avril et mai 2009. Pour aider Dulcinée à réunir les 15 000$ nécessaires à la réalisation du projet, le public est invité à faire un don via le site www.dulci-langfelder.org.