Les personnages plus grands que nature, voilà ce qui inspire Claude Lafortune. Et puis l'envie de remonter sur scène après le succès, il y a huit ans, de sa première création pour le théâtre, La très belle histoire de Noël. Cette fois, le conteur et magicien du papier se cherchait un héros capable de survivre à l'hiver... D'où ce Don Quichotte revisité, présenté bientôt au Musée Juste pour rire, puis en tournée au printemps.

À 72 ans, Claude Lafortune ne montre aucun signe de fatigue. Il pourrait se contenter de jouer au grand-père avec ses sept petits-enfants, mais il a, comme il le dit, le goût du risque. Il apprend donc ses textes, répète avec le marionnettiste David Magny et peaufine, avec son équipe de création, un spectacle pour enfants inspiré du récit de Cervantès.

 

«Don Quichotte est vraiment un personnage auquel je m'identifie, confie Claude Lafortune. J'aime son imaginaire et son humanisme. Bon, il prend les moulins à vent pour des géants, mais il pense qu'ils vont attaquer les fermiers de la région et il veut les défendre. Il veut se battre pour les plus faibles et les petits. C'est sa mission.»

Tout le personnage de Claude Lafortune est là. Celui qui a amorcé sa carrière à la télévision comme décorateur - il a notamment conçu les décors de Sol et Gobelet, de La souris verte et de La Ribouldingue - n'a-t-il pas fait de Jésus le héros de son émission L'Évangile en papier? «C'est vrai que les deux personnages ont un point en commun: ils veulent sauver le monde, admet-il amusé. Mais chacun à sa manière!»

«Ce qui me touche beaucoup, c'est de voir combien de jeunes me disent encore aujourd'hui: vous avez bercé mon enfance. Je me le fais dire régulièrement. C'est un beau cadeau de la vie, vous savez. Les gens ne me considèrent pas comme une vedette, mais comme un grand frère qui a bricolé avec eux et qui les a amusés dans leur enfance. C'est comme si je faisais partie de leur famille.»

Après plus de 27 ans passés au petit écran, Claude Lafortune a traversé les époques en gardant le cap sur son public: les enfants. Et sa passion: le bricolage. Ses débuts, il s'en rappelle très bien. «C'est vraiment par accident que je suis devenu animateur, explique-t-il. Je faisais des décors pour la télé, pour le cinéma (IXE-13, le film de Jacques Godbout avec les Cyniques) et pour la scène (Jean-Pierre Ferland, Jean Duceppe) lorsque, en 1973, Radio-Canada, m'a proposé d'animer une émission, Du soleil à 5 cents avec Serge Thériault, qui faisait ses débuts... J'ai tout de suite eu la piqûre.»

Suivirent le fameux Évangile en papier et Parcelles de soleil, une émission à caractère humanitaire qui cherchait à valoriser la différence chez les enfants. «L'Évangile en papier - dont les textes étaient d'Henriette Major, décédée l'an dernier - n'a duré qu'un an (en 1975). Après c'était des reprises, rappelle Claude Lafortune, mais ça a marqué ma carrière.»

L'émission le place en effet dans la catégorie «animateur religieux», une étiquette qu'il a assumée, mais qui, avec le recul, l'a quand même un peu agacé. «On a tout de suite pensé que je faisais cette émission au nom de l'Église. Les gens pensaient que j'étais prêtre. Mais l'évangile appartient à l'histoire. Il appartient à tout le monde. Il fait partie de notre société et de notre culture. Moi, j'ai voulu raconter cette histoire aux enfants tout simplement, qu'ils soient croyants ou non.»

Lorsque Radio-Canada met fin à ses émissions jeunesse, Claude Lafortune se cherche des projets. À 64 ans, il monte sur scène pour la première fois. «J'ai demandé à mon grand ami Pierre Régimbald (créateur des marionnettes de Passe-Partout avec Nicole Lapointe) ce que je pouvais bien faire. Il m'a dit: raconte l'histoire de Noël. Tu la connais. Tout le monde va aimer ça. Paul Buissonneau a fait la mise en scène. Et La très belle histoire de Noël a été un vrai succès.»

Cette première création pour la scène lui donne envie de continuer, malgré le travail exigeant que cela lui demande. L'idée d'interpréter Don Quichotte lui trotte dans la tête. La rencontre de Claude Lafortune avec le metteur en scène Yves Dagenais (mieux connu sous son nom de clown: Omer Veilleux), qui avait déjà monté un Don Quichotte au Mexique, est déterminante. «Ç'a été une heureuse rencontre, dit-il. On a tout de suite cliqué.»

Contrairement à La très belle histoire de Noël (dont les personnages étaient faits en papier), des marionnettes ont cette fois été fabriquées par Patrick Martel, avec l'aide de Marie-Pierre Simard et d'Isabelle Chrétien. «Avec les tournées, les personnages de papier sont trop fragiles, explique Claude Lafortune. Patrick s'est inspiré de mon style pour créer des marionnettes qui donnent l'impression d'être en papier, mais qui sont en fait beaucoup plus solides.»

D'autres artisans encore se sont rajoutés à l'équipe. Jean Bélisle aux décors, Thierry Vigneault aux éclairages, Christian Thomas à l'environnement sonore, Anne-Marie Veevaete aux costumes et même sa fille Frédérique Lafortune pour les accessoires de papier. De nombreux collaborateurs qui font le bonheur de Claude Lafortune. «Ce spectacle ne tourne pas autour de ma petite personne, c'est vraiment un travail d'équipe réalisé avec beaucoup de jeunes qui sont très inspirants.»

Et les autres projets en chantier? Claude Lafortune ne manque pas d'idées... Il rêve de créer une pièce sur Abraham (père de tous les croyants), une présentation du Carnaval des animaux (de Saint-Saëns) avec l'Orchestre Symphonique de Montréal (où il découperait des animaux en papier sur scène!) et pourquoi pas une incursion dans le monde du cinéma! Mais toujours pour les enfants, il n'en démord pas.

«Souvent, on entend dire que les émissions ou les spectacles pour enfants sont un passage obligé pour faire du divertissement pour adultes. Et ça me vexe toujours d'entendre ça. On peut faire sa carrière pour un public d'enfants. Moi, c'est ce que j'ai fait. Parfois j'ai l'impression qu'on est perçu comme un mal nécessaire. On ne fait pas toujours partie de la grande famille, vous savez...» Et voilà l'ombre de Don Quichotte...

Dans un avenir plus rapproché, Claude Lafortune prépare pour le mois de mars une exposition de grands personnages en papier, au Musée Juste pour rire et au Musée Nicolet. De Jésus à Beethoven, en passant par la reine Victoria, Champlain, Napoléon, Jeanne Mance, Cléopâtre et bien sûr, Don Quichotte... Mais qu'est-ce qui lie tous ces personnages? «Ce sont des personnages qui m'inspirent et qui me plaisent, tout simplement.»

Don Quichotte, de Claude Lafortune, au Musée Juste pour rire dès le 29 novembre. Pour les enfants de 5 à 11 ans. Pour plus de détails: www.hahaha.com/donquichotte