Alexis Martin est un bon acteur. Il en fait encore la preuve, dans la pièce Lortie, que met en scène son complice Daniel Brière.

Pour incarner le caporal Denis Lortie, qui, en mai 1984, avait pris en otage l'Assemblée nationale, Martin esquisse avec un grand souci du détail, le déséquilibre psychologique de celui qui associait l'État à son père abusif. Les manies. Le désordre intérieur. La blessure. Et cette hargne contre le gouvernement de René Lévesque, qu'il rendait coupable de ses déboires comme francophone dans l'armée.

 

Dans un Espace libre aménagé en arène parlementaire (avec les spectateurs perchés dans des gradins qui entourent la scène), Martin enfile donc les habits militaires de Lortie et recrée l'attentat «raté» ayant marqué l'histoire du Québec. À ses côtés, Henri Chassé revêt le paletot du sergent d'armes René Marc Jalbert, avec l'aplomb d'un père de famille juste et intègre.

Une bonne idée du NTE, cette reconstitution dramatique d'un événement aussi marquant dans la mythologie québécoise. Mais si Lortie a le mérite d'encore une fois confirmer la polyvalence d'Alexis Martin et d'élargir le déjà vaste terrain de recherche du NTE, ce spectacle n'est pas la plus réussie des entreprises du tandem Martin et Brière.

Le principal problème de Lortie, à mon sens, réside dans sa structure dramaturgique. Pierre Lefebvre, un homme d'idées, assoit fermement son interprétation théorique des actions du caporal Lortie.

Ces explications sont soulignées à grands traits par l'intervention d'un choeur féminin et toutes sortes d'artifices scéniques. Un mur fait d'écrans de télé surplombe ainsi la scène, diffusant toutes sortes d'images et de mots-clés pour favoriser la « bonne compréhension» du spectacle. Et le choeur, bavard, interrompt le jeu de Martin et Chassé pour expliquer que l'histoire du caporal, c'est aussi celle d'Abel et Caïn, de la nécessité de tuer le père, etc.

Mais avec tant de réponses et de solutions, que reste-t-il à dire de la pièce, après la tombée du rideau? Que Lefebvre a bien raison? Qu'encore et toujours, on revient aux Grecs? O.K. Mais une fois que cela a été dit en grosses lettres, appuyé, clamé pendant une heure et demie par un choeur, que reste-t-il à imaginer?

Quand la théorie s'aventure à faire du théâtre, le risque de passer à côté de l'expérience humaine est grand. Et c'est dans ce piège que tombe malheureusement Lortie. Dommage, puisque l'engagement et le talent des acteurs sont écrasés par le poids des idées. En voulant universaliser et donner un sens philosophique et social à cet échange qui a eu lieu, ce matin de mai 1984, entre Jalbert et Lortie, le NTE obtient le résultat contraire. Il restreint l'imaginaire de son public en lui imposant une symbolique. Et l'espace, dans ce contexte, n'est plus libre.

_____________________________________________________________________________________

Lortie, de Pierre Lefebvre, dans une mise en scène de Daniel Brière, jusqu'au 6 décembre à l'Espace Libre.