La dernière fois que j'ai croisé Yves Desgagnés, c'était en 2006, et il amorçait son «année» Tchekhov. Après une année de jachère théâtrale, le TNM lui prête à nouveau sa scène. Et pour «quelque chose de complètement différent», pour paraphraser les Monty Python. Après son périple dans la mélancolie russe, Desgagnés s'attaque au flegme anglais avec Le Retour d'Harold Pinter. Un regard sans pitié sur «l'abyssal fossé entre les hommes et les femmes», estime le metteur en scène.

J'ai devant moi un Yves Desgagnés débordant d'enthousiasme - a-t-il déjà été autrement? - enclin à s'épancher sur l'état du théâtre, son amour des arts visuels, les oeuvres et les individus qui ont jalonné son parcours.

 

Il sera évidemment d'abord question d'Harold Pinter, prix Nobel de littérature en 2005. Un auteur qui, selon Desgagnés, dépeint avec une certaine cruauté ses congénères. «Selon Pinter, les humains révèlent très peu ce qu'ils sont. Pour lui, chaque individu est une bombe à retardement. Alors que Tchekhov dit que chaque humain est d'une bonté sans nom.»

Celui qui en 2006-2007 a monté Oncle Vania (chez Duceppe) et La mouette (au TNM) n'a d'ailleurs pas dit son dernier mot sur Tchekhov, puisqu'il projette de mettre en scène La cerisaie dans deux ans. «On devrait remonter les pièces de Tchekhov tous les cinq ou six ans, qui sont des oeuvres extrêmement complexes à revisiter. Ce que j'aime des textes de répertoire, c'est qu'ils sont des voyages immobiles.»

Les swinging sixties

Mais pour revenir à nos moutons anglais, rappelons que Le Retour de Pinter dépeint les années 1960. L'époque était aux jupes qui raccourcissaient à vue d'oeil, aux filles qui décidaient qu'il était plus que temps de faire à leur tête. Et aux mecs qui se braquaient contre une telle révolution des rôles.

«Le retour, c'est l'histoire d'un gars qui vient présenter sa femme à sa famille après six ans d'absence. Ça se passe en banlieue de Londres, dans un monde d'hommes, où il se passe des choses très tordues.»

Un bal d'imposteurs, poursuit Desgagnés, où on ne sait jamais vraiment à qui l'on a affaire. Comme dans la vraie vie, où la petite dame croisée sur le trottoir ou le monsieur au dépanneur n'est pas qui on croyait...

«C'est une pièce qui oblige chaque membre de l'équipe à faire des choix perpétuels. Et une fois qu'on est rassuré par notre choix, une autre possibilité surgit. La pièce offre une grande complexité de sens», dit Desgagnés, qui souligne que le seul maître à penser de Pinter a été Samuel Beckett, un auteur qui avant tout «a reconstruit la réalité».

L'oeuvre, un tout

«J'ai voulu donner au spectateur l'oeuvre intégrale. Je n'ai rien coupé. Ce qui m'intéresse au théâtre, c'est l'écriture, que ce soit encore un lieu de paroles. Le Retour est une oeuvre extrêmement bien construite, par son vocabulaire et le monde que Pinter crée.»

Formé dans les années 1970 à l'École nationale de théâtre, il est de ceux qui croient fermement que le théâtre s'articule autour d'une parole. Et que de charcuter un texte «et remplacer par un patentage les bouts dont on ne comprend pas le sens» est une hérésie. «C'est comme si, sur un tableau de Picasso, on remplaçait un triangle par un cube, parce qu'on trouve ça plus joli.»

Desgagnés a jeté son dévolu sur des acteurs surtout sollicités par le cinéma, pour créer une impression de «non-jeu.» Des têtes comme Patrice Robitaille - qui selon lui est l'incarnation du boy next door, Benoît Girard et Noémie Godin-Vigneau.

Cette production est aussi marquée par la collaboration d'Yves Desgagnés avec celui qui a été son mentor depuis 30 ans: Marcel Sabourin.

«Je passerais ma vie, dans une salle de répétition avec Marcel Sabourin. Il est un libre penseur, d'une grande souplesse, d'une grande audace. Marcel est un être totalement déculpabilisant», déclare Yves Desgagnés, qui a dû attendre 30 ans avant de travailler au théâtre avec son mentor.

«À chaque fois que je l'appelais, il était trop occupé avec ses nombreuses activités. Mais le rôle que je lui ai proposé dans Le retour était si épouvantable qu'il ne pouvait passer à côté. Il s'agit d'un être qui n'accepte pas de mourir, et qui a décidé qu'il ferait chier le monde entier!»

De Sabourin, Yves Desgagnés a aussi retenu une leçon qu'il retient encore aujourd'hui. «Il nous a appris que la seule manière de vivre, c'était d'être créatif.»

Le retour, d'Harold Pinter, traduction de René Gingras, dans une mise en scène d'Yves Desgagnés, du 4 au 29 novembre au TNM.