C'est un projet fou. Une aventure motivée par un très grand besoin de faire du théâtre «qui compte». Parce que, bien franchement, il aurait été plus peinard de remplir une demande de sub, réunir des potes et imaginer l'énième show sur la vision du monde des membres de la génération X qui, malgré leur fond délinquant et leurs réflexes cyniques, apprécient tout de même la bonne bouffe et le bon vin.

Mais Michel Monty - l'homme derrière les truculents Cabarets insupportables du printemps dernier - avait justement envie d'autre chose. Et par autre chose, il ne voulait pas dire déplacer les sièges autour de la scène, ou faire chanter les membres du public.

 

Au cours des derniers mois, le directeur de TransThéâtre a partagé son temps entre Montréal et la réserve de Mashteuiatsh au Lac-Saint-Jean. Inspiré par le récit personnel de son ami, le comédien innu Claude Boivin, il a recruté six «non-acteurs» autochtones de 10 à 14 ans pour raconter l'histoire terrible des pensionnats instaurés au XIXe siècle par la Loi sur les Indiens.

Le résultat est touchant, troublant, captivant, instructif. Et surtout criant de vérité. On est d'abord saisis par la présence de ce choeur d'adolescents autochtones, les descendants des élèves de ces fameux pensionnats où rigidité, discipline et prière étaient de rigueur. Et où les petits Amérindiens étaient dépouillés de leur culture d'origine. Il y a eu les agressions sexuelles, l'intimidation, l'acculturation. Des crimes qui laissent à ses victimes un lourd héritage.

Admirablement bien dirigés par Michel Monty, ces «non-acteurs» enfants offrent une présence incroyable, jouent sans presque parler avec une très grande sincérité. Totalement engagés dans leurs rôles qu'ils endossent avec naturel et instinct. Dès qu'ils entrent en scène, on devient captivé par le destin de l'un, victime des sévices sexuels du religieux qui dirige le pensionnat (excellent Justin Laramée), ou encore du plus petit d'entre eux qui bégaie en récitant les paroles du Ô Canada!

Faire jouer des enfants est une entreprise risquée, mais parfois payante: pensons par exemple à l'extraordinaire prestation de Maxime Desjardins-Tremblay dans Le ring, d'Anaïs Barbeau-Lavalette.

Et lorsque ces gamins proviennent d'un milieu défavorisé, on peut facilement imaginer les embûches qui s'ajoutent à la démarche. Disons que répéter un spectacle pour l'Espace Libre avec des jeunes qui ne déjeunent pas tous les matins ou n'ont pas toujours leurs huit heures de sommeil en banque, c'est un autre défi que de préparer Casse-Noisette...

Mais Michel Monty et Claude Boivin - dont l'histoire personnelle a inspiré la création du Pensionnat - ont réalisé une oeuvre importante. En entrevue à quelques semaines de la première, Michel Monty semblait fatigué, dépassé par l'ampleur de son projet, incertain du résultat. Normal: il est forcément perfectionniste, le metteur en scène de La société des loisirs. Mais qu'il soit rassuré: il n'aurait pu rêver d'une meilleure distribution pour raconter l'histoire terrible des pensionnats. Tous les élèves en interprétation devraient aller voir ces jeunes acteurs à l'oeuvre.

COURRIEL

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