«Depuis quand dirigez-vous le Théâtre du Rideau Vert?» «Je compte les ans en comédies musicales, ça doit faire trois...» répond Denise Filiatrault.

De fait, l'énergique septuagénaire anime la maison de la rue Saint-Denis depuis juin 2004. C'est quatre comédies musicales qu'elle y a montées. Il y a eu d'abord Cabaret, sur invitation. Devenue directrice artistique, elle a programmé My Fair Lady, Neuf et, en mai et juin derniers, Sweet Charity, qui nous intéresse car la production s'amène à la salle Albert-Rousseau du jeudi 4 septembre au samedi 6 (20h).

Conversation avec la dame de fer de la scène hier, à la Basse-Ville. Nous la retrouvons telle qu'en elle-même, chassant le gris, tirant des salves de mots à blanc et à noir de ses convictions et souvenirs. En battante qui sait que la meilleure défensive est l'attaque, elle met le pendule à l'heure à la première question. Quelle place la comédie musicale a-t-elle tenue dans sa vie? «Je l'ai toujours aimée et, comme je le dis souvent, qu'on ne vienne pas me dire que c'est un art primaire! C'est pas vrai. Il y a des comédies musicales médiocres comme il y a des pièces de théâtre médiocres. Moi, les comédies musicales que j'ai montées, j'ai été plus tentée par leur livret que par leur musique.»

Cabaret, de Masteroff, et My Fair Lady adaptée du Pygmalion de G.B. Shaw, sont pour elle des écrits magistraux offrant en prime «des mélodies fabuleuses».

Le petit chat mouillé

Tout comme Neuf, rêveries autobiographiques d'un cinéaste en déprime, Sweet Charity est inspirée de l'univers de Fellini, de son film Les nuits de Cabiria.

Cabiria est une petite prostituée romaine qui espère en une vie neuve et le grand amour, et que les hommes finissent par traiter comme un chiffon. Le librettiste Neil Simon a fait de Charity Valentine une entraîneuse dans une boîte de nuit de New York.

Le métier prête à préjugés, mais Sweet Charity n'est pas putain, insiste Mme Filiatrault. «Elle est comme ces entraîneuses du Pigalle des années 60-70 qui s'asseyaient avec les clients pour leur faire boire du champagne et qui étaient payées aux bouchons, explique-t-elle. Ça pouvait aller plus loin, mais ça s'arrêtait souvent là.»

L'artiste l'avoue, ce n'est pas l'urgence qui a jeté Sweet Charity sur son chemin. «Je ne savais pas...» glisse-t-elle à travers une moue sceptique. Elle avait adoré la Charity de Shirley MacLaine dans le film de Bob Fosse (1969), son idole de la mise en scène et de la chorégraphie de musicals, mais elle était sortie désenchantée d'une version scénique de Broadway : «Je n'avais pas aimé du tout. C'était gros, il y avait des moyens incroyables, mais quand tu ne vois que les moyens, tu perds l'histoire en dessous...»

Une fois de plus, le livret l'a conquise. Et l'humanité de Charity donc! «Elle est tellement naïve, tellement touchante. C'est le petit chat mouillé sur qui tout le monde tape. Elle a besoin d'être aimée, elle croit au prince charmant, mais là où elle travaille, c'est pas la place pour le rencontrer. Elle veut tellement aimer que ç'en est lourd.» Jusqu'au timide Oscar qui étouffe sous les ardeurs de notre amoureuse de l'amour.

Marie-Ève Beaulieu interprète Charity. Denise Filiatrault l'a repérée au Théâtre Prospéro où elle jouait le rôle-titre dans L'Évangile selon Salomé. «C'est elle, que je me suis dit en voyant cette fille menue qui a plus une voix de diseuse que de chanteuse, qui danse très bien et qui, surtout, est le personnage de Charity : la petite fille, le petit chat mouillé...»

Mlle Beaulieu appartient au cru 2004 du Conservatoire d'art dramatique de Montréal. Elle est donc d'abord comédienne. Mais en comédie musicale, Mme Filiatrault ne tient pas cette compétence pour incontournable. Elle cherche d'abord des danseurs. «C'est plus facile d'apprendre à des danseurs à jouer qu'à des acteurs à danser», dit-elle.

Denise Filiatrault a inclus une autre comédie musicale à sa saison 2008-2009, Un violon sur le toit, un livret de Joseph Stein d'après Sholom Aleichem. Ce sera peut-être sa dernière au Rideau Vert. «Parce que c'est trop cher», déplore-t-elle. Ce n'est pas que ça ne marche pas. «Deux jours après l'annonce, à peu près tout est vendu, lance-t-elle, mais avec 426 places, nous devons poursuivre à la salle Pierre-Mercure, beaucoup plus grande, pour que ce soit rentable.»

Pierre Gendron, Gabriel Sabourin, Paul Cagelet, Émily Bégin, Émilie Josset, Chantal Dauphinais, Nathalie Gadouas, Marina Matic, Christian Vézina, Steve Hanley, Richard Belhumeur et Daniel Delisle complètent la distribution. Musique de Cy Colman, paroles de Dorothy Fields, traduction d'Yves Morin, direction musicale de Pierre Benoît et chorégraphies de Geneviève Dorion-Coupal. Réservations au 418 659-6710 ou au 1 877 659-6710.