Essayer de décrire précisément le Slava's Snowshow du maître clown russe Slava Polunin, de retour pour la cinquième fois à Montréal depuis hier, ce serait passer à côté de l'essence même de ce spectacle unique en son genre qui a touché plus de 5 millions de spectateurs depuis 25 ans. Rencontre avec un homme à part, coloré et émouvant.

Pour Slava Polunin, tout a commencé dans le village russe de Novosil quand il avait 8 ans. Par une belle nuit du Nouvel An, l'enfant découvre The Kid de Charlie Chaplin à la télévision et tombe sous le charme de ces images. Il lui faudra 15 ans et un voyage à Saint-Pétersbourg pour réussir à voir le film en entier. Mais la graine du rêve était semée dans le coeur de l'artiste. 

«Ce qui m'a poussé à créer cet univers, c'est la rencontre avec The Kid. J'ai voulu, comme lui, habiter le monde de la fantaisie, de la joie et du jeu. Ce qu'il y avait de touchant dans ce film, c'est que le rire et la tendresse y existaient en même temps», explique, songeur, Slava Polunin, 68 ans, à travers sa barbe blanche fournie et en pagaille. Sous l'oreille attentive de sa femme Elena Ushakova et les yeux attendris de son fils Vanya, tous deux membres de cette «folle» troupe et de cette famille tissée serré, Slava Polunin raconte comment cet attrait pour la fantaisie a toujours guidé sa vie.

Un parcours entier et passionné

En dépit d'un refus de l'Institut théâtral de Saint-Pétersbourg, d'un travail forcé à l'usine, d'études en économie entamées à reculons et d'une mère peu convaincue de l'avenir sérieux d'un clown, il multiplie les performances, les concours de théâtre et les implications dans le monde de la scène et de la création. «Au bout de trois ans loin de la maison, j'ai invité ma mère au Music Hall de Saint-Pétersbourg. Je l'ai installée sur son siège et je lui ai dit que je reviendrais dans 15 minutes», raconte Slava, amusé. Un quart d'heure plus tard, elle découvre son fils sur scène, au coeur de la lumière et star de pantomime. Avec la bénédiction maternelle, il quitte alors l'école d'économie et s'inscrit à l'Institut culturel. Il en sort diplômé comme metteur en scène de grands spectacles et de galas-concerts au bout de... huit ans! «J'avais trop de projets, de performances et de choses à faire pour étudier!», raconte-t-il en riant. C'est le début d'une longue et dense carrière «dans l'art de la sottise, du tragique et de la métaphysique de la clownerie».

«Si tu n'imagines pas, si tu ne fais pas de choses folles, s'il n'y a pas d'éléments de fête chaque jour, la vie est trop grise et trop normale.»

L'itinéraire de cet homme aux multiples facettes, fondateur du théâtre de clown Licedei, président de l'Académie internationale des fous et créateur du Slava's Snowshow, est impressionnant. Depuis 40 ans, ce pionnier n'a jamais cessé de créer, d'explorer et d'imaginer, comme en témoigne sa participation à de nombreux festivals et carnavals internationaux, projets de théâtre de rue...

«Du théâtre de réalité fantastique»

Présenté pour la première fois il y a 25 ans dans un palais impérial abandonné près de Saint-Pétersbourg, le Slava's Snowshow est le fruit d'une année de création. «J'allais me promener avec ma femme dans les immenses jardins jouxtant le palais, j'imaginais les idées et je les présentais ensuite à des amis. J'avais noté chacun de mes concepts sur les carreaux de la salle de bains», raconte Slava.

Même s'il est difficile à décrire pour le créateur, ce spectacle est certainement quelque chose qui s'apparente à une grande épopée merveilleuse et fantastique dans un monde coloré et surréaliste. Conçu pour s'adresser à différents publics, il laisse également une grande place aux spectateurs, avec lesquels les artistes sur scène interagissent beaucoup. «Pour l'enfant, il y a le jeu. Pour la grand-mère, les larmes. Pour le professeur, il y a des pensées très profondes à découvrir, résume Slava. Mais le plus important à retenir, c'est qu'on ne réalise aucune idée jusqu'au bout et qu'on laisse le public cocréer avec nous.» Le spectacle ne suit ni un sujet ni une histoire, et on s'éloigne de l'art de clown traditionnel. «C'est plutôt ce retour à l'univers de la joie et de la fantaisie. C'est pour ça que chaque année, le public revient et le redemande.»

Vingt-cinq ans plus tard

Si, avant de monter sur scène, lors de la première représentation du Slava's Snowshow, il y avait bien sûr la peur, le sentiment prédominant qui vibrait en lui était celui de la fête et de la célébration de la vie. Après 25 ans de représentations, Slava Polunin a su préserver son coeur d'enfant et se sent toujours habité par cette même énergie, malgré les aléas du quotidien. 

«Il faut vivre heureux, même si tu es triste et même si la vie est difficile, car celle-ci est remplie de bonheur!»

À ses côtés, son fils confie être heureux d'être bien accueilli à Montréal: «La culture du théâtre, de la comédie et du cirque est bien développée ici.»

Et Elena Ushakova, jusque-là plutôt silencieuse, ajoute que «c'est difficile de résumer ce que l'on veut qu'on retienne du spectacle, mais le plus important, c'est qu'on ne veut laisser personne indifférent». 

«On souhaite que les gens soient encore plus inspirés et amoureux de la vie après avoir vu notre spectacle», dit Slava. Une belle promesse pour cette fin d'année.

Au Théâtre St-Denis, jusqu'au 6 janvier.