Pas facile de faire l'unanimité avec une blague, de ne blesser personne, en ces temps de rectitude politique... Mais il faut bien oublier nos drames et nos angoisses. Et l'humour demeure le meilleur remède contre la sinistrose.

Tout est une question de trouver le bon angle et le bon dosage, le point de vue respectueux, selon le vétéran des variétés au Québec, René Simard. «Bien sûr, ce qui se passe avec le mouvement #moiaussi me touche personnellement, avec ce qui est arrivé à ma soeur Nathalie, confie-t-il. J'ai donc beaucoup d'empathie pour les victimes», poursuit l'ancien collaborateur du Bye Bye dans les années 90, qui signe la mise en scène de 2017 Revue et corrigée au Théâtre du Rideau Vert.

On lui a d'ailleurs reproché de ne pas (assez) parler des inconduites sexuelles d'Éric Salvail ou Gilbert Rozon dans le spectacle. «Je crois qu'il faut se donner le temps de respirer et prendre du recul pour aborder un tel sujet dans un numéro comique. Il faut surtout trouver le bon angle, à la fois drôle et respectueux. Et se demander si ça sert le spectacle.»

Un siècle de revues

Au théâtre, la tradition des revues d'actualité remonte à la fin des années 1930 avec Gratien Gélinas et Fridolinons au Monument-National. Dans la peau de son personnage de Fridolin, le populaire comédien faisait rire ses contemporains aux côtés des vedettes de l'âge de la radio: Fred Barry, Juliette Béliveau, Juliette Huot, Olivette Thibault...

«Les gens adoraient Fridolin», se souvient Dominique Michel, dans une entrevue qu'elle accordait au fils de l'auteur de Tit-Coq, Pascal Gélinas, en mars 2016. «Mes parents, quand ils parlaient de M. Gélinas, [disaient]: "Il est tellement bon, il dit des affaires qu'on pense, et que les gens n'osent pas dire; il est le porte-parole du peuple, c'est un petit gars de la rue, intelligent, vif"», racontait l'ex-reine du Bye Bye.

Par contre, de tout temps, il y a eu des limites qu'on ne pouvait franchir en humour. Durant la Seconde Guerre mondiale, Gratien Gélinas devait tenir compte des censeurs du gouvernement du Canada, pour ne pas être accusé «de nuire à l'effort de guerre». «Pour les amadouer, Gratien donnait des représentations dans les camps de l'armée», rappelle Pascal Gélinas.

Humour en marge

Depuis une décennie, Cabaret politique et bouffonneries est une revue de l'année en marge, «politiquement incorrecte qui écorche tout le monde». Selon son auteur, Philippe Lemieux, le fait de s'adresser à un public de 1000 à 2000 personnes, et non de millions de téléspectateurs, lui laisse beaucoup plus de liberté sur le plan du contenu.

Dans Salut 2017, sa 11e revue présentée au Café Campus à Montréal et au Petit Champlain à Québec, Philippe Lemieux aborde plusieurs thèmes délicats, comme le racisme, l'immigration. Il y a même un sketch sur l'attentat de la mosquée à Sainte-Foy en janvier dernier!

Amateur «d'humour noir et grinçant», Philippe Lemieux ne cherche pas à donner dans la provocation pour autant. 

«C'est une question de dosage. Par exemple, les dénonciations d'agressions sexuelles sont abordées sous le ton de Passe-Partout pour rire des prédateurs qui n'ont plus de "passe-droits".»

De son côté, René Simard estime que face à l'horreur, il faut avoir «du recul et du discernement». «Sans me censurer, ça ne me tente pas de rire de la souffrance des autres. Un spectacle de fin d'année, ça reste du divertissement.»

Photo fournie par la production

Philippe Lemieux est l'auteur de Cabaret politique et bouffonneries, revue de l'année « politiquement incorrecte qui écorche tout le monde ».