La première montréalaise du nouveau spectacle de Guy Nantel, Nos droits et libertés, aura lieu le 7 novembre au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts. Discussion franche avec un humoriste qui ne craint pas les tabous ni la controverse.

J'ai vu le spectacle de Martin Perizzolo cette semaine. Il fait une blague sur toi. T'es devenu une tête de Turc des humoristes...

Je fais aussi beaucoup de blagues sur les autres. Il y en a qui prennent ça bien et d'autres moins. Je trouve que les humoristes ont parfois la couenne un peu fragile.

Pas toi?

Non. J'ai la capacité de faire la distinction entre un gag sympathique et une joke faite avec agressivité, pour faire du «Nantel bashing». Je ne suis pas un gars de gang. Je travaille seul. Je suis seul sur scène, je n'ai pas de metteur en scène, j'écris seul mes spectacles. C'est rien pour se faire des amis!

Tu ne te sens pas seul de ta gang parfois?

J'avoue que des fois, quand il y a des émissions de télé où j'ai l'impression de voir tous les humoristes sauf moi, j'aimerais plus faire partie de la gang. Je le dis en toute modestie, mais je vends quand même 125 000 billets par tournée. Ce qui est plutôt rare dans l'industrie artistique québécoise. Il peut arriver que j'aie de petites frustrations de ne pas avoir plus de visibilité.

Tu abordes le sujet de la religion dans ton nouveau spectacle. J'ai l'impression qu'au Québec, notre rapport à la religion est fondamentalement marqué par notre rejet du joug religieux. Pour bien des gens, surtout de la génération des baby-boomers, la crainte d'un retour en force du religieux, et en particulier de l'islam, est liée à la Révolution tranquille. Le Canada anglais n'a pas le même rapport à la religion parce qu'il n'a pas subi ce même joug. Ici, on a développé une certaine intolérance religieuse...

Tu trouves? Je ne vois pas ça comme de l'intolérance, au contraire. Je ne vivrais pas à l'extérieur de Montréal parce que j'ai besoin de ce multiculturalisme... Pas le multiculturalisme à la canadienne, mais l'interculturalisme à la québécoise, je devrais dire. Mais on pense qu'on vit dans un État laïque alors qu'on vit dans un État religieux. Dans la Constitution canadienne, la première chose dont on parle, dans le préambule, c'est la primauté de Dieu. Le crucifix est encore au Salon bleu.

Il y a bien des contradictions dans notre rapport à la religion. Certains des plus ardents défenseurs de la Charte des valeurs du PQ voulaient conserver le crucifix au Salon bleu.

C'est tellement simple, la laïcité de l'État! Quand ça touche l'État, le politique et la gouvernance, c'est non. Et quand ça touche l'espace public, c'est oui. La croix du mont Royal ne va pas changer, le nom de la rue Saint-Denis non plus. Le problème dans notre société, c'est que les croyances religieuses ont plus d'importance que les autres convictions, qu'elles soient politiques, sportives, sociales ou autres.

À cause de la Charte canadienne, tu veux dire?

Quand tu occupes un poste où tu représentes le gouvernement, c'est ta fonction: tu n'existes plus. Si tu décides que tu ne peux pas faire d'exception pour ta religion, qu'en tout temps tu dois être en mode pratique religieuse, je n'ai pas de problème avec ça. Mais malheureusement pour toi, les rôles où tu dois mettre ta religion de côté, comme devenir fonctionnaire et travailler à visage découvert, ne sont pas pour toi. Tu t'en exclus toi-même.

Tu es Jagmeet Singh, le chef du NPD, et tu es élu premier ministre. Ça pose problème?

Bien sûr que ça pose problème ! Tu deviens premier ministre, tu deviens le Canada. Tu es l'État. À l'international, la personne qui incarne le Canada aurait un symbole religieux aussi fort? C'est absolument inacceptable.

Tu ne trouves pas qu'il y a une hypocrisie à accepter qu'un chef d'État puisse porter une croix sous sa chemise mais pas un turban sur sa tête, juste parce qu'on le voit?

Ce qu'on ne voit pas, on ne le voit pas. Si t'as ton t-shirt du PQ sous ta chemise, je m'en fiche, mais si t'as ton t-shirt du PQ pendant que je vais chercher mon permis de conduire, c'est non. Je ne vois pas de différence entre tes croyances envers ton band de rock préféré, ton Dieu préféré, ton équipe de hockey ou ton parti politique préféré. Pour moi, c'est toute la même affaire.

Tu es conscient que la liberté de Jagmeet Singh de porter un turban dans ses fonctions est protégée...

Ma vision de ça est très rigide. Quand tu choisis d'adhérer à une religion, et surtout de la pratiquer de façon quasi intégriste - je ne fais pas de lien avec le terrorisme, ici -, que tu sois catholique, témoin de Jéhovah, sikh ou autre, tu t'exclus des métiers où tu représentes l'État. Si on commence à faire des exceptions, c'est qui l'arbitre?

Le tribunal, par exemple! Tu dis que tu ne fais pas la différence entre la religion et le reste, sauf que c'est surtout la religion qui semble te déranger...

C'est la religion qui demande des accommodements. Si les fans du Canadien demandaient sans arrêt de pouvoir travailler comme juges ou policiers avec une calotte du Canadien, on réagirait de la même manière.

Tu ne trouves pas que tu minimises l'importance des convictions religieuses?

Je m'en fiche de la religion ! C'est ta religion. Si t'es musulman et que tu me dis qu'on n'a pas le droit de dessiner le Prophète, ben moi, j'ai le droit de le dessiner. Ça adonne de même! Tu décides que tu t'imposes dans la vie des trucs qui te compliquent l'existence pour avoir un métier? Tant pis pour toi!

Ce n'est pas juste une façon de mettre de l'huile sur le feu?

C'est ça, la liberté, Marc! Je ne comprends pas ce genre de raisonnement.

Il y a des limites raisonnables même à la liberté d'expression...

Non! La liberté d'expression, c'est le droit de dire ce que tu as à dire!

Il y a des limites aux droits garantis par la Charte. Je trouve qu'il y a parfois une surenchère de «mes droits me permettent de dire telle chose», et c'est là que certains humoristes tombent dans la provocation...

Quand je t'entends sur ces questions-là, tu parles toujours d'affaires qui sont un peu élastiques ou sur mesure. Moi, je te parle d'un cadre très précis...

Moi, je te parle de la Charte! C'est très précis!

La seule façon de fonctionner en société, c'est d'avoir des règles claires. Une société, c'est un groupe de personnes qui fonctionnent de la même manière, avec les mêmes règles, sur un même territoire.

Et dans ces règles communes, notamment celles de la Charte canadienne des droits et libertés qui fait partie de la Constitution, la liberté de religion est considérée comme une liberté fondamentale. Et en ce sens, elle doit être très bien protégée...

Toi, tu dis ça...

Les juges le disent! La Cour suprême le dit, la jurisprudence en fait foi...

Les juges se prononcent sur ces cas-là parce que ce sont des religieux qui abusent des droits de la personne. Tu me demandes ce que je pense de leur interprétation: je te réponds!

Mais tu reconnais que les règles ne sont pas si claires...

Le Canada, c'est le Canada. Si tu me demandais de créer un pays qui s'appelle République du Québec et que c'est moi qui faisais les règles, je dirais aux gens: «La liberté de religion demeure la même, mais c'est toi qui décides jusqu'à quel point tu l'appliques.» Parce que quelqu'un va dire: «Moi, mon Dieu me permet de me promener avec un gun en tout temps!» Il n'y a pas de fin à ça.

Tu en veux à la Charte canadienne de trop promouvoir les droits individuels au détriment des droits collectifs, mais en même temps, tu tiens à tes propres droits et libertés - c'est le titre de ton spectacle. Il n'y a pas là une contradiction?

Je ne revendique aucun droit différent d'un autre citoyen. Mais les gens qui demandent des accommodements religieux disent: «Il doit y avoir un règlement pour vous et un règlement pour moi.» Moi, je n'ai jamais demandé ça de ma vie. Si j'entre dans un avion et que je dis «J'ai une bombe, tout le monde!», j'espère qu'on va m'arrêter. Je ne vais pas pouvoir dire que j'ai une carte d'humoriste. Le jour où je vais arriver devant un douanier avec un turban, c'est sûr que je vais demander à voir un autre douanier.

Ce n'est pas une façon de marginaliser les gens?

Je m'adresse à l'État. Je m'en fiche que tu sois gai, pro-vie, pro-choix ou fan des Expos. Ça ne m'intéresse pas. La liberté, c'est la neutralité. Tout le monde fonctionne selon les mêmes règles. Ce n'est pas dur à comprendre!

C'est plus complexe que ça, à mon avis...

Je m'en rends compte! Ce sont des mollassons comme toi qui compliquent les affaires! Les vrais leaders comme moi ne les compliquent pas! (Rires)