«O. K. tout le monde, je vous en prie, soyez patients: ne partez pas en plein milieu d'un set. Si un humoriste ne vous plaît pas, dites-vous que, dans 20 minutes, il aura fini et un autre prendra sa place sur scène», annonce James L. Mattern.

À une cadence déchaînée, cet agressif et moustachu MC du Greenwich Village Comedy Club déverse une logorrhée humoristique truffée de «motherfuckers», de «shitheads» et d'autres formules brutales qui ancrent le ton de cette soirée salée.

Première artiste de la soirée, la jeune comédienne de Brooklyn Katie Hannigan enfile les blagues sur la santé mentale de ses colocs et sa propre vie sexuelle trouble. Lui succède une vedette de YouTube, Nimesh Patel, qui fait son déferlant numéro.

C'est un jeudi soir comme les autres, dans le quartier Greenwich Village, antre de quelques clubs d'humour réputés, tels le Comedy Cellar, le Gotham City Improv et le Greenwich Village Comedy Club. Les oiseaux de nuit (surtout des touristes) qui répondent à l'appel du divertissement butinent à la recherche d'un bon plan en cette soirée de la mi-octobre.

L'offre est vaste et le public se montre exigeant et peu intimidé par l'approche caustique des comédiens. Sur la scène exiguë du Greenwich Village Comedy Club - installé dans un sous-sol où sont alignées une vingtaine de tables - défile une sélection de comiques aussi diversifiés qu'inégaux.

Pete Burdette rêve lui aussi de monter un jour sur la scène du Greenwich Village Comedy Club. En attendant son tour, il gagne sa vie en vendant des billets sur le trottoir. Il est manifestement nostalgique d'un temps où le public était plus captif. «Autrefois, les gens étaient prêts à vous suivre, quand vous leur racontiez une histoire. Mais avec des trucs comme Fox Laughs, où un comédien comme Louis C.K. lance une blague courte, la capacité d'attention a raccourci», observe ce stand-up qui est aussi producteur d'événements.

Quelques pas plus loin, un petit groupe de touristes fait la queue pour entrer au Gotham Comedy Club. Becky, une Australienne qui adore l'humour anglais, est d'avis qu'un bon humoriste se démarque par son don de happer l'attention de ses spectateurs. «L'Écossais Bill Connolly, par exemple, est capable de commencer une histoire et de donner le punch trois heures plus tard, en vous tenant continuellement en haleine.»

Sortir les gens de l'écran

YouTube, un rajeunissement de l'humour et de l'audace à la Amy Schumer (dont les clips de trois minutes sur Comedy Central sont archi-populaires) redéfinissent le paysage de l'humour américain.

«Ces jours-ci, je ne regarde pratiquement plus la télé, mais seulement des trucs sur YouTube.» - Un aspirant humoriste et rédacteur venu assister à un enregistrement du Daily Show

Au début du mois de novembre, sur la scène du mythique théâtre Apollo, en plein coeur de Harlem, l'animateur du Comedy Night mensuel, Smokey Suarez, se paie allègrement la tête d'un spectateur qui a les yeux rivés sur son portable, pendant sa performance.

«C'est ça que ça donne, l'embourgeoisement de Harlem! Des Blancs qui, plutôt que d'apprécier d'être dans un lieu où des légendes comme Ella Fitzgerald et Louis Armstrong sont nées, préfèrent avoir le nez dans leur Instagram», lance Suarez, ce qui fait rire jaune sa cible.

On n'y échappe pas: les blagues salées, les punchs rapides et faciles dominent aussi les passages sur scène des comédiens de l'Apollo, venus raconter le quotidien comique du Bronx et de Harlem. Or, le public est conciliant, voire réceptif. «Quand le crime décline, l'immobilier monte en flèche... Il est temps de ramener le crack dans la communauté!», lâche Omar Thompson, comique originaire de Harlem, au grand plaisir des spectateurs heureux de se frotter à la culture locale.

Ce qu'on peut en dire des choses, dans une minute new-yorkaise. Et des vertes, et des pas mûres...