Jean-Sébastien Girard est «la bitch de service» de La soirée est (encore) jeune, décapante émission de radio diffusée de 17h à 19h le week-end à Radio-Canada (et désormais en version télé condensée à ARTV, le dimanche à 19h). Il a provoqué une controverse le printemps dernier lorsqu'il a qualifié Québec, à la blague, de «ville de mongols». Les gens de Québec n'ont pas apprécié, ni les organismes de défense des personnes atteintes de trisomie 21...

Je voulais te parler des limites de l'humour, de l'affaire Mike Ward, de la façon dont ce genre de débat t'affecte dans ton travail...

Je constate qu'on a beaucoup de liberté à La soirée, quand je nous compare avec d'autres. Il y a eu l'épisode du «Mongolgate» - qui fut un événement presque isolé -, mais, de façon générale, on va plus loin que d'autres qui suscitent des scandales. Pour moi, l'exemple le plus inoffensif, ç'a été la carte de Dany Turcotte à Caroline Néron. Il lui a dit qu'il voulait lui offrir un de ses bijoux mais qu'il n'en avait pas trouvé de beau. Tout le monde lui a dit qu'il n'était donc pas drôle et méchant. Une vraie controverse. C'était absurde. Une chance que les gens qui ont été scandalisés par ça ne nous écoutent pas, parce qu'ils trouveraient ça incroyable!

C'était un couac dans l'espèce de confrérie du vedettariat québécois qui est assez consensuelle. Les gens aiment se dire qu'ils sont beaux et fins et intelligents...

On est dans la tyrannie de la gentillesse!

Dany Turcotte est loin d'être méchant. Alors que vous êtes assez acerbes. Vous vous taquinez les uns les autres - au point où on se demande quelle est l'ambiance de vos réunions de production -, mais vos invités en prennent aussi pour leur rhume.

Entre nous et face à nous-mêmes, on a beaucoup d'autodérision, je pense. C'est ce qui nous rend aussi sympathiques. On n'est pas de vrais méchants.

Le «Mongolgate», comme tu dis, a-t-il pris ce genre de proportion parce qu'un nouveau public vous découvrait?

Je ne l'ai pas vu venir du tout. J'ai souvent pensé que d'autres blagues que j'avais faites me vaudraient d'être appelé dans le bureau des patrons. Mais pas cette fois-là. J'ai compris par la suite qu'il y a des mots qu'on ne peut pas utiliser, qu'il y a des gens qui ont été offensés. Mais j'étais tellement habitué d'avoir une liberté sans que ce soit récupéré nulle part ou que ça choque des gens que ç'a été une sorte de rappel.

Je vous ai trouvés frileux! Je ne trouve pas qu'utiliser le mot «mongol», c'est la fin du monde. Surtout en humour. Le terme «mongol», dans le langage usuel québécois, va bien au-delà du fait de désigner une personne atteinte de trisomie. J'ai trouvé vos excuses excessives. Avec le recul, as-tu l'impression d'avoir réagi trop rapidement au tsunami de réprobation?

Je ne regrette pas du tout d'avoir présenté des excuses. Il y a des gens qui ont véritablement été blessés. Je pense à une dame qui est une fan de l'émission, qui m'écrit, qui prend même des photos avec nous et qui est très gentille. Elle est mère d'un enfant trisomique et elle m'a écrit pour me dire qu'elle était déçue, en m'envoyant une photo de son enfant. Ça m'a touché. Mes excuses étaient sincères, autant pour les gens de Québec que pour les trisomiques.

Est-ce que cette histoire t'a permis de voir les limites de ton personnage?

Guy A. Lepage disait, en parlant du numéro de Mike Ward, sans le légitimer, qu'il s'adresse à un public qui paie 30$ pour le voir en sachant quel genre d'humour il pratique et en embarquant dans cette convention-là. Mais avec les réseaux sociaux, ça devient quelque chose de «grand public». Ça s'adresse à tout le monde, même ceux qui n'aiment pas son univers. Ç'a été un peu la même chose avec mon histoire de mongols... Les gens ne connaissent pas nécessairement mon personnage ni le ton de l'émission. Ça devient: «Un animateur de Radio-Canada traite les gens de Québec de mongols.» Et quand je me suis défendu en expliquant que c'était une blague, Sophie Durocher a écrit que c'était une excuse facile. C'est une émission de blagues!

Je trouve ça un peu faible comme argument, en 2015, de dire qu'un spectacle s'adresse à un public averti et pas aux autres. Une blague en spectacle, même pour un public d'initiés, ce n'est pas comme une blague dans sa cuisine avec ses amis. Ce n'est pas privé. J'ai trouvé la blague de Mike Ward sur le petit Jérémy sur YouTube, et elle n'avait pas été filmée par un iPhone.

Ça s'adresse forcément au grand public et il faut en avoir conscience. Quand j'écris maintenant, je suis toujours un peu «écartelé» avec moi-même. Est-ce que je vais dans cette zone-là? Ai-je envie de me payer un autre «Mongolgate» ? Non. Mais ai-je envie d'être moins drôle ou d'adoucir et d'édulcorer le personnage? Non plus. On prend conscience qu'il y aura d'autres événements comme ça et que c'est un peu inévitable quand on fait quatre heures de radio en direct la fin de semaine.

Trouves-tu que Mike Ward est allé trop loin?

Il y a plein d'aspects là-dedans. Et bien des choses qui ont été dites. Je ne suis pas certain que Mike Ward a intellectualisé toutes les intentions qu'on lui prête. A-t-il voulu dénoncer la famille? Je ne suis pas sûr qu'il s'est rendu aussi loin que ça.

Mike Ward est loin d'être un abruti, malgré l'image qu'il projette. J'ai l'impression que son principal plaisir, c'est de repousser les limites. C'est l'objectif de l'humour transgressif. De ce point de vue-là, se moquer d'un enfant handicapé, c'est la transgression ultime. Après, est-ce qu'il a un propos?

C'est ça. Dans la transgression, il faut quand même qu'il y ait une certaine finesse. C'est cliché, mais de s'attaquer aux plus faibles, ce n'est pas intéressant.

Sinon s'attaquer à l'idée qu'on ne peut pas rire de tout, qui est en soi intéressante.

Comme spectateur aussi, je suis écartelé entre le plaisir coupable de voir quelqu'un aller trop loin et le fait de trouver que ce qui est vraiment drôle, c'est de s'attaquer au pouvoir. S'attaquer à un enfant handicapé, c'est facile...

C'est à la fois facile, parce que c'est une cible facile, mais difficile dans la mesure où un enfant handicapé, c'est un intouchable. On n'est pas censé s'en moquer. C'est une audace qui a des conséquences. Mais est-ce que notre propos est gratuit ou a-t-il un fond qui se défend? Si ce n'est le fait de faire rire.

On n'intellectualise pas tout le temps tout ce qu'on fait non plus. On y réfléchit là parce qu'on prend le temps. Mais les vacheries que je sors à l'émission sont souvent spontanées. Il n'y a pas chaque fois une réflexion derrière. Est-ce que ça transgresse avec finesse? Est-ce que ça change le regard qu'on a sur ce que je dénonce? Je ne suis pas un humoriste. Je ne prépare pas un one man show pour la suite. Souvent, c'est juste une ligne que je trouve drôle.

Foncièrement, je ne voudrais pas d'une société qui impose d'emblée et de façon générale des limites aux transgressions en humour. Mais je trouve tout à fait légitime que Jérémy Gabriel fasse valoir ses droits. On verra si, dans ce cas précis, on juge que Mike Ward est allé trop loin.

Le résultat va être intéressant pour la jurisprudence. Est-ce que ça va devenir un cas de référence? Je suis curieux de savoir ce qui va se passer à l'avenir avec l'humour. Est-ce que l'élastique de la rectitude va péter? Va-t-on revenir à un humour plus trash? Ceux qui aiment La soirée, c'est aussi je crois parce que ça répond à un certain besoin, dans un univers où des avocats surveillent les blagues et où on se demande constamment si on est allés trop loin. Il y a des termes qu'on ne peut plus employer, des groupes qu'on ne peut pas viser, des lobbys de toutes sortes qui font valoir leurs intérêts. Ce que je trouve rassurant, c'est qu'on peut se permettre bien des choses à La soirée alors qu'on n'est pas sur le web ou sur une radio obscure. On est à Radio-Canada: la «radio de vos taxes»!