Un spectacle de Dieudonné, humoriste condamné plusieurs fois pour antisémitisme, a été interdit jeudi par la plus haute juridiction administrative française, peu avant son début à Nantes (ouest), une décision qualifiée de «victoire» par le gouvernement.

Le Conseil d'État a fait primer le risque de trouble à l'ordre public sur la liberté d'expression, marquant un retournement de la jurisprudence en France, les tribunaux ayant à une quinzaine de reprises ces dernières années invalidé des interdictions de spectacles de ce polémiste.

«C'est une victoire pour la République», s'est félicité le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls. «On ne peut pas tolérer la haine de l'autre, le racisme, l'antisémitisme, le négationnisme. Ce n'est pas possible. Ce n'est pas ça, la France», a-t-il ajouté.

Le président François Hollande, qui avait appelé mardi les préfets, représentants de l'État, à se montrer «inflexibles» face à l'antisémitisme et aux discriminations, «souhaite que nous nous rassemblions autour des valeurs de la République, que notre société s'apaise», a encore ajouté M. Valls.

«On aura désormais une base juridique stable pour empêcher la propagation de cette idéologie négationniste qui se drape dans la liberté de création», a réagi la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti.

L'interdiction du spectacle de l'humoriste controversé a provoqué à Nantes la colère de centaines d'admirateurs. «Valls démission!», «Liberté d'expression !», ont-ils crié aux abords de la salle de spectacle quadrillés par des forces de l'ordre en nombre. Quelque 6200 spectateurs étaient attendus.

Mais, après un appel de Dieudonné à quitter les lieux sur sa page Facebook, ils ont commencé à se disperser.

«Ils cherchent l'affrontement physique donc rentrez chez vous en chantant la Marseillaise !», a écrit le polémiste sur sa page Facebook où il compte 513 571 «amis».

Dans sa décision, dont l'AFP a obtenu une copie, le juge du Conseil d'État, Bernard Stirn, a considéré que «la réalité et la gravité des risques de trouble à l'ordre public» étaient «établis».

Saisie par Dieudonné, la justice administrative avait annulé auparavant l'interdiction du spectacle décidée mardi par le préfet infligeant un revers au ministre de l'Intérieur à l'origine de la mesure.

Peu après, Manuel Valls demandait au Conseil d'État de statuer. Fait rarissime, celui-ci a rendu sa décision très rapidement, à temps pour empêcher le début du spectacle.

Décisions de justice attendues dans d'autres villes

L'avocat de Dieudonné, Me Jacques Verdier, a dénoncé un «acharnement» contre son client, jugeant «très clair qu'il y a eu des pressions» pour obliger le Conseil d'État à se prononcer dans un très bref délai.

Dans son spectacle solo Le Mur, déjà présenté à Paris, Dieudonné, métis franco-camerounais de 47 ans, multiplie les charges contre «les Juifs», «la juiverie» ou encore «kippa-city», des attaques coutumières dans ses spectacles.

Après la première décision administrative, validant la tenue du spectacle, Dieudonné avait réagi sur son compte Twitter en interpellant de façon grossière le ministre de l'Intérieur : «Manu la sens-tu ?»

Les associations juives françaises se sont mobilisées contre le polémiste, appelant à des rassemblements, notamment dimanche à Paris.

Après l'interdiction du spectacle de Dieudonné plusieurs responsables de cultes ont exprimé leur «soulagement», mais, suite à la décision du Conseil d'État, certains se sont inquiétés de la création d'une jurisprudence qui pourrait faire évoluer l'interdiction de réunion répressive vers une interdiction préventive.

«Je ne crois pas que ce soit en l'interdisant qu'on interdira ses idées», a commenté à l'AFP Laurent Schlumberger, président de l'Église protestante unie de France.

Ces derniers jours, juristes et associations avaient déjà mis en garde le gouvernement contre la difficulté à justifier l'«interdiction préalable» d'un spectacle, assimilable à une «censure».

Le spectacle de jeudi à Nantes devait lancer une tournée de Dieudonné en France. D'autres mesures d'interdiction ont été prises dans d'autres villes et la justice administrative doit à nouveau se prononcer vendredi à Orléans (centre).

La polémique sur Dieudonné intervient sur fond de montée de l'extrême droite en France, à trois mois d'échéances électorales.

Plus de sept Français sur dix (71 %) ont une mauvaise opinion de Dieudonné, une image négative qui se retrouve aussi bien chez les sympathisants de gauche et de droite que d'extrême droite, selon un sondage Ifop.