L'humoriste et animateur Michel Barrette est consterné par la polémique entourant l'humoriste français Dieudonné, car elle lui rappelle les souvenirs horribles de la Deuxième Guerre mondiale. Si Dieudonné vient au Québec, il le dénoncera, car il est inquiet des répercussions des blagues antisémites sur les jeunes. Par contre, Mike Ward et Guillaume Wagner estiment que Dieudonné doit conserver sa liberté d'expression.

«Il y a quatre ou cinq ans, mon ami Michel Boujenah a refusé de participer à un gala, au Québec, car Dieudonné y était aussi, a dit Michel Barrette au téléphone. Étant juif, il n'en pouvait plus de lui et de ses discours. Ce qui se passe en France actuellement, ça me fait penser à la montée du nazisme dans les années 30. Quand on se demande comment Hitler a pu se rendre là où il a été, avec les discours qu'il tenait à l'époque, il faut se souvenir qu'au début, les gens avaient embarqué. Quand je vois les jeunes qui suivent les shows de Dieudonné, qui s'habillent en SS et qui le prennent pour un gourou, je trouve ça vraiment inquiétant.»

Michel Barrette regrette en même temps qu'on parle autant de Dieudonné.

«Plus on en parle, plus ça lui fait de la publicité, dit-il. Plus on en fait une victime et plus il est heureux. Plus tu vas dans la marge, plus les radicaux vont te suivre. Je trouve ça dangereux et épeurant. On a un devoir de mémoire. Les jeunes de 20 ans, on ne peut pas leur faire comprendre l'horreur de la dernière grande guerre, car à la limite, ils vont dire que c'est exagéré et qu'un tel a dit que les camps de la mort n'ont pas existé. Alors des gens peuvent suivre un tel imbécile du genre.»

Si Dieudonné vient présenter son nouveau spectacle au Québec, devra-t-on le considérer comme persona non grata?

«Je pense qu'il faudra se lever et le dénoncer, dit Michel Barrette. Il ne fait pas de l'humour, mais de la propagande haineuse. Ce n'est pas Yvon Deschamps qui nous provoquait pour nous mettre nos travers dans la face. Lui, il n'est pas là pantoute.»

Liberté d'expression

Mike Ward a déclaré à La Presse qu'il appuie Dieudonné au nom de la liberté d'expression. Qu'en pense Michel Barrette?

«Pffff, soupire M. Barrette. Ça n'a pas d'bon sens. J'aime beaucoup Mike, mais je ne suis pas d'accord. On ne peut pas dire n'importe quoi n'importe quand. [Dieudonné] n'est pas dans un bar à moitié chaud avec quatre de ses chums. Et encore, c'est possible que des gens autour se lèveraient et lui diraient de dire ses conneries dans son sous-sol chez lui. Mais non, là il est sur scène et on paie pour l'entendre dire ses conneries.

«Oui à la liberté d'expression, mais il y a une limite. Je pourrais pas arriver à la télévision et dire: «c'est dommage que les chambres à gaz n'existent plus, car quand je pense à Pauline Marois, ohhhh.» C'est pourtant la même chose qu'il a dite avec le chroniqueur français Patrick Cohen. C'est horrible. Ça m'jette à terre. Il n'y a pas de joke, là. Ce n'est pas s'exprimer, ça. Il y a des lois qui nous interdisent de dire n'importe quoi.»

À la défense de la liberté d'expression

Mike Ward, humoriste

«J'appuie Dieudonné. Je veux vivre dans un monde où la liberté d'expression existe encore même si ça veut dire entendre quelques jokes antisémites. La liberté d'expression est quelque chose de très fragile. Comme disait Evelyn Beatrice Hall dans son livre Friends of Voltaire: «Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'au bout pour que vous ayez le droit de le dire.» Je suis contre ce que dit Dieudonné. Ça me choque. Je n'aime pas l'humour raciste et les blagues antisémites. Je ne paierai plus pour aller voir Dieudonné, mais c'est son droit de faire ça. La scène artistique a besoin d'une liberté d'expression absolue, sinon après, Jean-François Mercier n'aura plus le droit de faire des blagues sur les gros [...] et on ne fera plus que des blagues sur les bébés chats. Les artistes ont le droit de faire ce qu'ils font et moi, j'ai le droit de ne pas aimer.»

Guillaume Wagner, humoriste

«J'ai vu tous les spectacles de Dieudonné. Ils renferment parfois des points de vue choquants, mais aussi des moments remplis d'humanité, d'universalité et d'amour. Dieudonné est devenu avec le temps un humoriste un peu plus amer qui [voit] des complots un peu partout. Et certains groupes et individus sont décidés à lui fournir amplement assez de matériel pour s'imaginer ces complots. Le gouvernement français veut faire interdire un humoriste? Elle est bonne. L'histoire politique française est truffée de gestes bien pires que n'importe quels propos les plus extrêmes. Leur indignation morale est à prendre avec indignation. Toute voix qu'on fait taire, aussi discordante soit-elle, est une perte pour l'échange que doit constituer une société. Dieudonné soulève par l'outil de la provocation une multitude de points rarement soulevés dans le débat public.»