On peut dire de Rachid Badouri qu'il est à la fois un enfant prodige et prodigue de l'humour. Prodige parce qu'il maîtrise la scène entièrement, comme peu de gens savent le faire, et qu'il combine en lui les talents d'humoriste, d'imitateur et de danseur ; prodigue parce qu'il se donne sans compter et que son retour à Montréal après trois ans d'absence était très attendu. La salle du St-Denis hier soir, pour la première de Badouri Rechargé, son deuxième one-man-show, était comble et est repartie sûrement comblée.

Prodige, prodigue, mais toujours un enfant, même s'il a enfin quitté la maison familiale et qu'il s'est marié. C'est l'enfant de ce père qu'il adore et dont il a fait un personnage central de ses numéros, assez pour qu'on aime se faire traiter nous aussi de salopards ; de sa mère, malheureusement disparue trop tôt, à qui il rend un hommage bouleversant ; c'est aussi un des enfants chéris du Québec à qui il le rend bien en insistant sur le fait que son public d'ici est sa famille.

C'est qu'il en a fait, du chemin, cet enfant qui n'avait au départ que quelques blagues et une imitation de Michael Jackson dans son c.v., ce qui avait malgré tout fait lever la foule à un gala Juste pour rire. Hier soir, c'est littéralement une star qui était sur scène, entourée d'un dispositif scénique époustouflant, à la mesure de son statut. Sa plus grande force, ce ne sont pas les textes, mais la gestuelle infernale qu'il maintient pendant une heure et demie sans entracte. Difficile par écrit de mentionner précisément des blagues tant il excelle dans la livraison des mots plus que dans les mots eux-mêmes. Un entertainer de haut niveau. Badouri, c'est un peu l'enfant métissé d'Anthony Kavanagh et de Michel Courtemanche.

Le métissage, qu'il célèbre dans ce spectacle, est sa marque de commerce. Il peut imiter à peu près tous les accents, même les différents accents québécois selon les classes sociales et les origines ethniques.

Quand il nous raconte ce qu'on découvre de la femme qu'on aime après le mariage, lorsqu'il décrit sa virée dans un club de gym high-tech pour un cours de spinning, ou son irrigation du côlon, nous avons droit à un portrait plus qu'animé de la situation et on comprend mieux pourquoi deux écrans sont sur la scène.

Ce n'est pas seulement parce que la salle est grande, c'est qu'il faut voir ses mimiques pour s'écrouler de rire. Comme un enfant hyperactif, il pratique un humour visuel et bruyant qui rend souvent hommage aux minorités visibles. Il se décrit comme un extrémiste en tout - sauf, bien sûr, de cet extrémisme qui fait les manchettes et qui nuit gravement à la communauté arabe dont il est l'un des plus illustres représentants, alors que ses parents sont d'origine berbère...

Badouri, que certains trouvent exagéré dans sa gentillesse et son amour de la famille, est, en fait, un extrémiste du vivre-ensemble, puisque de nos différences et de nos différends, il tire son inspiration et sa matière, pour en faire de l'or.

Badouri est un alchimiste plus que nécessaire en ces temps de débats enflammés sur les valeurs québécoises, qu'il incarne sans jamais écarter personne. Le nous « inclusif », il connaît, puisqu'il semble contenir tous les « nous » possibles en lui. Il y a de quoi en être fier.