Manche de tatouages sur le bras gauche, t-shirt noir, petit chapeau de hipster sur la tête, ainsi apparaît Stéphane Rousseau sur l'affiche de son nouveau spectacle Les confessions. En France, un petit squelette au regard affolé était assis sur son épaule. Chez nous, le squelette a disparu, mais pas le talent ni l'humour de ce surdoué.

C'est une longue route poussiéreuse qui s'enfonce dans la forêt laurentienne. Un GPS est de mise pour ne pas s'y perdre. La route tourne, serpente, monte, descend et puis, sans crier gare, surgit le toit de cuivre noir d'une vaste maison moderne en bois couleur caramel que Stéphane Rousseau a fait construire sur les ruines de son ancienne demeure.

L'humoriste et acteur ouvre la porte de ce qui lui sert de tanière et de refuge depuis 16 ans. Il porte un t-shirt punk des Sex Pistols, un pantalon cargo gris savamment froissé et, comme toutes les fois où je l'ai rencontré, il est en mode off et dépourvu de l'énergie explosive qui l'anime dès qu'il pose un pied sur scène. Mais cette fois, en plus, il semble un brin intimidé de m'accueillir chez lui, s'excuse de son sac de voyage qui traîne à l'entrée et des trois grains de litière que sa chatte Diva a fait gicler sur le plancher.

Devant nous, d'immenses baies vitrées laissent entrer une lumière laiteuse qui se déverse sur les quelques rares meubles blancs posés sur le parquet comme des objets d'art. Si nous nous rencontrons ici plutôt que dans un café à Montréal, c'est d'abord en raison de l'horaire hyper chargé de Rousseau, pris ces jours-ci entre le tournage du film Le projet Omertà, où il tient un premier rôle de méchant, et une série de spectacles à Gatineau, avant sa grande rentrée montréalaise à la salle Wilfrid-Pelletier le 6 juillet. Comme ce cinquième spectacle dans la carrière de Rousseau est placé sous le signe de la confession et donc, forcément, de la mise à nu, l'invitation dans son intimité était de mise.

Mais il y a une troisième raison qui m'amène dans son antre privé à quelques kilomètres de Sainte-Adèle: la peinture. Depuis environ 10 ans, Rousseau, qui dessine depuis qu'il est tout petit et qui a un coup de crayon très sûr, s'est mis à la peinture. Ses toiles sont de grands formats, éclaboussés de couleurs, aux accents parfois sombres et torturés, comme ce tableau peint la nuit où sa soeur Louise a été opérée d'un cancer du cerveau qui a fini par l'emporter à l'été 2009. Mais dans d'autres toiles - et Rousseau en a peint des douzaines -, l'influence de la BD et, surtout, des graffitis du défunt peintre Jean-Michel Basquiat, met un peu de fantaisie et d'humour dans sa noirceur et un peu de désordre et de délire dans la symétrie parfaite de son décor.

Si la maison de Stéphane Rousseau est à l'image de son propriétaire, alors celui-ci est un esthète minimaliste, un homme de goût et un maniaque de l'ordre tourné résolument vers l'avenir et sans aucune attache au passé. À ces qualificatifs, on pourrait ajouter le mot lisse, au sens d'uni, poli, égal, doux, dénué de toute aspérité. Comme par hasard, «lisse» est un des premiers mots à sortir de la bouche de Rousseau alors que nous prenons place sur l'immense terrasse qui court sur toute la devanture de la maison et domine le lac Long.

Secret de famille

Les confessions de Stéphane Rousseau est en effet né après que Gilbert Rozon et ses très dynamiques soeurs eurent fait remarquer à l'humoriste qu'il y avait un décalage, pour ne pas dire un grand écart, entre l'image publique qu'il projette et ce qu'il est vraiment dans la vie. Stéphane Rousseau était d'accord avec le constat.

«Les gens, dit-il, ont une fausse image de moi. Une image lisse de gars gentil et de gendre parfait qui n'est pas tout à fait raccord avec qui je suis. Ma blonde et mes ex vous diront que je ne suis pas si gentil que ça. J'ai parfois un petit côté mean, un petit côté trash aussi. J'ai décidé ce coup-ci d'aller explorer cette facette-là de ma personnalité et j'ai le sentiment d'être allé plus loin que jamais en montant un show complètement autobiographique, où je révèle un secret de famille que ni mon père ni ma soeur Louise ne voulaient que je révèle. Mais comme ils sont morts tous les deux et que cette réalité m'appartient à moi aussi, j'ai décidé de m'en libérer et, croyez-moi, ça me fait du bien.»

Ce fameux secret de famille n'a rien de très scabreux ni de très honteux: les Rousseau étaient des nudistes. De l'âge de 3 ans jusqu'à environ 15 ans, Stéphane a passé ses étés et ses fins de semaine à poil avec ses semblables et leur progéniture. Même l'hiver? «Oui, même l'hiver, répond-il. On n'était pas à poil dans la neige, mais à poil sous son habit de skidoo. Dès qu'on rentrait dans une maison du camp, on enlevait tout. Au début, y a rien là. T'as 3 ans et tu te rends compte de rien, mais à l'adolescence, disons que ça devient plus compliqué. Tu peux pas inviter tes amis ou alors faut que t'aies une lettre signée de leurs parents. C'est pas pour rien que la plupart des jeunes quittent le camp de nudistes à l'adolescence. C'est ce que j'ai fait moi aussi.»

Plus tard quand sa carrière d'humoriste a pris son élan, Stéphane Rousseau a voulu faire un numéro sur le sujet. Son père a refusé catégoriquement. Pour Gilles Rousseau, le nudisme n'était pas une blague, mais une sorte de jardin secret qui ne regardait personne, pas même les voisins.

Avec l'intention ferme de froisser le gars trop lisse en lui, Rousseau a donc écrit un numéro sur son passé nudiste. Puis il a embrayé avec un numéro sur les derniers moments de vie son père. Sur le coup, les producteurs français du spectacle qui a été créé à Lyon ont poussé de hauts cris, convaincus qu'un tel numéro ne passerait pas la rampe. Mais Rousseau s'est entêté et il a eu raison, si l'on se fie au succès fulgurant que le spectacle a connu en France, où il a été présenté plus d'une centaine de soirs autant à Lyon et dans la province française qu'à Paris. Une des raisons de son succès, c'est sa notoriété grandissante en France, à cause d'au moins trois films: Astérix, Modern Love et, surtout, le film culte Fatal, mettant en scène le rappeur bling bling Fatal Bazooka qui se fait voler la vedette par un certain Chris Polls interprété par Rousseau. Ce rôle loufoque a renforcé le statut de star de Rousseau, qui partage désormais sa vie entre son appartement parisien et sa cabane glorifiée au Canada.

«J'aime bien cet aller-retour entre les deux cultures et les deux réalités, dit-il. Là-bas, mon statut n'est pas le même. Je suis un intouchable, j'ai des privilèges incroyables. Là-bas, après le show, des gens sont prêts à m'attendre deux heures sous la pluie. Ici, c'est une réalité plus saine. Quand ça fait 15 minutes que les gens t'attendent, ils commencent à se demander pour qui tu te prends. Ça me fait toujours du bien de revenir ici.... comme ça me fait du bien de repartir.»

Si Rousseau n'était pas sur la route tout le temps, il prendrait le temps de monter une expo de ses oeuvres dans une galerie à Montréal. Il a déjà exposé une partie de ses oeuvres à Paris, à Lévis et, en 2008, au musée de Trois-Rivières, mais comme tout ce qu'il entreprend, Rousseau y va lentement et prudemment. En attendant que le peintre devienne aussi connu que l'acteur et l'humoriste, Rousseau sera sur les scènes du Québec tout l'été. Puis à la fin août, il prendra son bâton de pèlerin et fera à pied 300 kilomètres sur les chemins menant à Saint-Jacques-de-Compostelle afin d'amasser des fonds pour le cancer.

Les vacances dans tout cela? C'est bien le seul mot qui ne semble pas intéresser le touche-à-tout créatif et pas si lisse que ça qu'est Stéphane Rousseau.