Que diraient deux Arabes de la banlieue parisienne s'ils débarquaient à Hérouxville pendant la crise des accommodements raisonnables? Olivier Kemeid et Geoffrey Gaquère se sont amusés à l'inventer dans Lettres arabes, comédie bouffonne inspirée de Montesquieu.

S'échangeant la parole comme s'ils se passaient un ballon, Geoffrey Gaquère et Olivier Kemeid détaillent avec enthousiasme l'émergence de leur dernière création. Ils parlent des Lettres persanes de Montesquieu, à qui ils ont presque emprunté le titre de leur spectacle Lettres arabes, mais aussi de Jacques Cartier, de la commission Bouchard-Taylor et de Jamel Debbouze.

Lettres arabes, c'est une «franche comédie», établit d'emblée Olivier Kemeid, qui en cosigne le texte et la mise en scène avec Geoffrey Gaquère. Les deux hommes de théâtre en interpréteront de plus la vingtaine de personnages. Ce spectacle qu'ils disent quelque part entre le stand-up, le numéro de clown et le théâtre propose pourtant de se replonger dans un épisode pas toujours reluisant de l'histoire récente du Québec : la crise des accommodements raisonnables.

Puisqu'on est au théâtre et pas à RDI, ce débat qui fut parfois délirant sera raconté par deux Arabes venus d'une cité française qui se retrouvent au Québec par accident et qui, à l'aide d'un Bixi volé, arpenteront les ruelles de Montréal et les routes de la province jusqu'à... Hérouxville. Ils ne sortiront pas indemnes de leur périple, mais à l'instar des Persans de pacotille des Lettres persanes, Rachid et Mouloud poseront aussi un regard à la fois naïf et décapant sur la société québécoise.

«Dans la salle, les gens ont mal à leur Québec», lance en riant Olivier Kemeid, songeant sans doute aux réactions suscitées par la pièce lorsqu'elle a été présentée au Festival du Jamais lu au mois de mai l'année dernière. «Ce n'est pas un pamphlet et ce n'est pas un éditorial, précise toutefois Geoffrey Gaquère. Ça parle de notre époque, de ce dans quoi on baigne, notamment sur le plan médiatique.»

Miroir grossissant

Rachid et Mouloud tendront bien sûr un miroir grossissant aux spectateurs et, en raison de leur naïveté, se permettront d'être outranciers. Geoffrey Gaquère et Olivier Kemeid usent d'un langage volontiers vulgaire, très typé, inspiré du parler des banlieues françaises. Ce travail sur la langue, poussé jusqu'à l'excès, fut d'ailleurs l'un des moteurs de la pièce. Olivier Kemeid dit d'ailleurs vivre une «très forte catharsis à dire des insanités».

«Ce n'est pas seulement une pièce sur le Québec», signale toutefois Geoffrey Gaquère. Rachid et Mouloud viennent de France et le contexte social de ce pays, où les enfants et petits-enfants d'immigrants se sentent souvent exclus et le racisme se fait parfois plus cru, transparaîtra dans le spectacle. Le symbole qu'est l'Amérique sera aussi exploré, déduit-on en entendant les deux auteurs raconter que leurs deux «Arabes de service», qui ne savent pas dans quel coin de l'Amérique ils viennent de débarquer, passent une partie de la pièce à chercher la statue de la Liberté.

Lettres arabes donnera à voir un Québec écartelé entre son passé et son devenir, mais sans aucune forme de nostalgie ou de déni. Les deux auteurs ont puisé ici et là dans des textes anciens (une description du fleuve par Jacques Cartier, des poèmes des années 60, etc.) parce qu'ils en trouvent la langue «superbe» et qu'ils rappellent un certain passé à notre mémoire. «Si on arrive à faire voir le Québec autrement, on va se coucher heureux», disent les deux auteurs de cet intrigant objet théâtral qu'on prévoit déjà épique et rocambolesque.