On devait se voir en début de soirée pour parler de sa carrière de vedette (moyenne) à la télévision française, où il fait le juré en chef à l'émission La France a un incroyable talent (plus de deux heures pendant huit semaines). On s'est en fait retrouvés au nouveau spectacle de son poulain, le transformiste Arturo Brachetti, qui triomphe depuis une semaine aux Folies Bergère. Et, fatalement, la question d'actualité est remontée à la surface: la fermeture du Musée Juste pour rire après 17 ans d'activité.

Gilbert Rozon, qui avait refusé jusque-là de s'exprimer sur je sujet, n'a pas une folle envie d'en parler: «Je ne voulais pas avoir l'air de me présenter comme le bon gars dans cette affaire, celui qui a perdu 10 millions en s'obstinant dans son projet... La vérité, c'est qu'aucun musée ne vit sans subventions ou mécénat. Même les expos qui ont connu le plus grand succès public ne faisaient pas leurs frais.

«Certains de mes projets ont mis de longues années à s'installer, comme le concept de la rue pendant le festival Juste pour rire. Je me suis donc obstiné avec ce Musée auquel je tenais, on a essayé diverses formules. Et finalement, j'ai tiré les conclusions: je ne pouvais pas continuer à subventionner indéfiniment ce projet, ni à financer les rénovations qui s'imposaient, et il était totalement inopportun de demander de l'aide de l'État. Avec beaucoup de regret, je tourne la page. Mais c'est sûr que quelque part on s'est trompés. Sinon ça aurait marché! En revanche, sur le plan comptable, cet arrêt est plutôt une bonne chose pour le groupe Juste pour rire.»

Comme à la Bourse

Nous voilà dans un bistrot de quartier, à peu près en face des Folies Bergère. Rozon débarque de Londres, où il a fait un aller-retour dans la journée: les affaires dans la capitale britannique et à Édimbourg suivent leur cours prospère.

«Et donc pour résumer, plaisante Gilbert Rozon, la maison ne se porte pas si mal. On est comme des actions en Bourse. Il suffit qu'un spectacle connaisse un succès particulièrement brillant, comme La mélodie du bonheur, à Montréal, l'été dernier, pour que tout le monde me trouve extraordinaire. Et quand il y a un échec ou un demi-échec, ma cote dégringole d'un seul coup. La réalité, c'est que, hors Festivals, nous produisons entre 50 et 80 spectacles dans l'année: neuf sur dix marchent très bien. Mais on ne réussit jamais à 100 %, ça n'existe pas.»

Une heure plus tard, on traverse la rue pour aller voir ce nouveau spectacle de Brachetti. La somptueuse salle de 1549 places (précision de Rozon) est archicomble. L'ancien artiste de rue de Turin est en train de rééditer son fulgurant triomphe de février 2000 au théâtre Marigny, avec le même mélange de virtuosité, de féerie et de poésie. Dans le public, il y a de tous les âges, y compris des enfants qui sont ravis par ce qu'ils voient. Mais, ce même soir, le vénérable journal Le Monde a consacré une demi-page dithyrambique au «transformiste magique». Brachetti n'est peut-être pas québécois - personne n'est parfait! -, mais c'est quand même Rozon qui l'a trouvé et installé dans un théâtre. Et c'est le metteur en scène montréalais Serge Denoncourt qui, une fois encore, signe la mise en scène brillante et fluide de ces numéros qui défilent avec légèreté pour constituer une vraie histoire compacte de 90 minutes. «Ce spectacle a toutes les qualités pour faire le tour de l'Europe, et davantage», dit Rozon.

Vedette de la télé

Les spectateurs dans la salle savent-ils en le croisant qu'ils ont affaire au producteur de Brachetti? Ce n'est pas sûr du tout. S'ils lui sollicitent un autographe - comme cela s'est produit deux fois au café - ou lui demandent de se faire prendre en photo avec lui (trois fois après le spectacle), c'est la vedette de télévision qui les intéresse. À raison de huit émissions hebdomadaires entre la mi-octobre et la mi-décembre, Gilbert Rozon a fini par devenir une vraie vedette du petit écran, en France.

m6 a beau être la «petite» télé privée (face à TF1), La France a un incroyable talent tient quand même l'affiche pendant deux mois en fin d'année depuis cinq ans, et s'étale sur près de deux heures et demie à heure de grande écoute. Résultat: entre 3,5 et 4,5 millions de téléspectateurs à chaque numéro. Une émission où, en sa qualité de producteur, Gilbert Rozon tient naturellement le premier rôle.

«Ce n'est pas par vanité que je continue cette émission, dit-il, mais c'est vrai que l'exercice m'amuse. C'est également une façon de prolonger mon métier. Et c'est compatible avec mon emploi du temps de producteur.»

Un emploi du temps passablement chargé. Il y a la carrière de quelques superstars françaises, Franck Dubosc ou Florence Foresti qui, entre autres, remplissent à volonté des salles de 6000 places. Il y a le spectacle de Brachetti qui doit durer jusqu'au 16 janvier. Sans oublier Stéphane Rousseau qui a investi le Palace à la mi-octobre pour deux mois et demi avant de partir dans une grande tournée en province.

Quant à Gregory Charles, «il a terminé les sept semaines au TLP-Dejazet, dit Rozon, sur deux semaines à guichet fermé. Et je regrette amèrement de ne pas avoir prévu de salle pour les semaines suivantes. Mais j'ai toujours su qu'il fallait plusieurs années pour installer un artiste à Paris. Mais comme, avec Gregory, on a le choix, car il est parfaitement bilingue, on a plutôt décidé de le lancer aux États-Unis. En y mettant le temps qu'il faut. C'est en train de se concrétiser.»