Pour un soir seulement, il présentait son nouveau one-man-show, Enfin libre!, dans le cadre du Festival Séfarad. Pendant près de deux heures, sans pause, Michel Boujenah a démontré mardi sa liberté, certes, mais surtout, sa virtuosité et sa grande générosité. Trente ans de métier, ça se voit, et ça se déguste. Et qu'est-ce qu'on y a goûté!

On se demande de quoi a l'air le texte original de ce nouveau spectacle tant Michel Boujenah multiplie les digressions. «On est mal barré, ça va finir à cinq heure du matin» a-t-il lancé entre deux fous rires, et on l'a presque cru. L'improvisation est l'une des libertés de l'artiste, mais il faut une sacrée expérience pour en user autant. En fait, la liberté, c'est beaucoup de travail, et paradoxalement, c'est lorsqu'on ne sent pas le travail que l'on reconnaît le talent de l'artiste.

Pour Boujenah, tout est prétexte à délirer, et seul sur scène avec une minuscule chaise pour accessoire, il n'y a personne pour le freiner. Ces spectatrices qui rient quand tout le monde a cessé de rire («des folles!»), celui-là qui tousse, l'autre qui se mouche, et les retardataires, qui ont dû amèrement le regretter mardi - surtout un, à la première rangée. «Tu préfères qu'on te tues comment?». Toute la première rangée a goûté à sa répartie: «Vous vous êtes échappés, ou quoi? Ils vous ont trié à l'entrée? Vous êtes pas normaux!»

En fait, Boujenah n'est pas tout à fait seul sur scène, puisque ses personnages fétiches apparaissent les uns après les autres pour donner leur opinion, comme si le créateur, en les appelant sans s'appuyer sur eux, voulait rendre hommage à de vieux compagnons de route. Simone et Maxo Boutboul - la famille Boutboul élargie aussi- Guigui, Julot... «Je suis libre, je fais ce que je veux» clamait Boujenah, comme un enfant sur scène. Et comme une doudou, il a ressorti son célèbre chapeau mou.

Il aime les mélanges, «les uns sur les autres, les autres dans les autres», mais comment faire quand il est déjà difficile d'être soi-même? Son fils ne veut plus être juif et il lui faut lui expliquer l'antisémitisme. «Mais pourquoi c'est toujours aux juifs d'expliquer l'antisémitisme? C'est comme demander à un sanglier s'il est pour ou contre la chasse!». Son cousin Jean-Claude, avocat, veut maîtriser l'accent français «pur» - une obsession difficile à comprendre pour le spectateur québécois qui n'est pas aussi à l'affût de ses variations dans l'Hexagone. Cet accent français pur, c'est celui du journal télévisé, qui dit: «Bonsoir. C'est la crise. On va tous mourir. Bon appétit.». D'ailleurs, sa femme veut maîtriser la cuisine française «pure» - c'est ça dire le canard à l'orange - et il estime mériter la légion d'honneur pour l'avoir mangé.

Boujenah aurait voulu être un acteur tragique. Déclamer de la poésie. Il se réclame du neuropsychologue Jean-Didier Vincent pour expliquer enfin pourquoi les hommes ont besoin de plusieurs femmes. Mais, dans un jeu de miroir touchants, Simone et Maxo prouvent que la science ne peut pas expliquer pourquoi on s'aime toujours, pourquoi on s'aime encore, pourquoi on s'aime autant. «La liberté n'est qu'un mot quand on n'en a pas les moyens» lui rappelle son ami d'enfance. Sa petite fille Vanessa ne croit plus au mensonge de l'amour, mais il lui répond:»qu'il est plus dur de ne plus aimer que de ne plus être aimé», et l'invite à pleurer. L'humoriste n'est pas dupe des vacheries de la vie.

Mais enfin, qu'est-ce que cette vie dans laquelle on se débat, on souffre, on se fait larguer, on bouffe et on se fout au régime pour rebouffer ensuite et s'en foutre? Eh bien, ça ressemble à un couple plus l'on vieillit,  on dirait. Malgré tout, on l'aime encore, et, on l'espère, pour toujours. Peu importe l'absurdité de cette espérance. Bref, du grand Boujenah, qu'on espère revoir plus qu'un soir.