Que peut-il vouloir de plus? Anthony Kavanagh vient à peine de digérer un triomphe de quatre mois, début 2010, au théâtre du Gymnase, qu'il remet le couvert, cette fois à Bobino, célèbre music-hall de la rive gauche refait à neuf. Avec un spectacle entièrement nouveau - Kavanagh fait son coming out -, il a décidé de tenir cette salle de 870 places pendant deux mois et demi, du 19 octobre au 1er janvier. Avant de se lancer dans une grande tournée en province.

Et comme si ça ne suffisait pas, il met la dernière main à une série de huit émissions de télé de 80 minutes, Nous avons les images, déjà vendues à Comédie. Cette chaîne satellite de Canal + commence la diffusion mensuelle de la série après-demain à heure de grande écoute. En attendant sa programmation - dans une version québécoise - à la chaîne Super Écran. D'ailleurs, Anthony Kavanagh fera une pause de quatre jours, dans deux semaines, pour enregistrer à Montréal les «plateaux» de cette version.

A priori, ses débuts à Bobino, le 19 octobre, ne pouvaient plus mal tomber, en pleine crise sociale sur la réforme des retraites: pénurie d'essence généralisée, grèves sur le réseau régional parisien et manifestations monstres. Ça n'a rien changé à son bonheur, et il a fait salle comble quand même. Jeudi soir dernier, quand je l'ai vu à Bobino, c'était à l'issue d'une nouvelle «journée d'action» qui a paralysé la moitié de Paris. Il y avait quand même 820 spectateurs. Et les billets continuent de se vendre comme des petits pains chauds.

Son meilleur spectacle

Avec ce tout nouveau «coming out», il vient de se renouveler de façon magistrale et a peut-être accouché de son meilleur spectacle, où il joue de tous ses talents et touche à tous les sujets sans jamais s'appesantir, avec une légèreté parfaite.

La scène est nue, à l'exception d'un mur lumineux à l'arrière-plan qui se contente de scintiller ou alors se transforme en drapeau américain, puis en publicité de Heineken. Anthony, qui a retrouvé sa sveltesse et ses cheveux longs en dreadlocks, arpente la salle en interpellant le public: «Je suis d'origine haïtienne, de nationalité québécoise, marié à une Suissesse et je vis en France depuis 12 ans. Donc j'ai la joie de vivre des Haïtiens, le côté ouvert des Québécois et un compte bancaire à la suisse... Pour le côté français, euh...»

Suivent à toute vitesse quelques considérations sur la mauvaise humeur des Parisiens, leur goût pour les grèves plutôt que pour le travail et leur capacité à verser dans le racisme. Par exemple lorsqu'il s'agit de louer un appartement.

«Dans la première version du spectacle, explique-t-il dans sa loge, je tapais beaucoup plus fort. J'en ai enlevé un peu, car, bizarrement, la France est devenue depuis quelques années beaucoup plus politiquement correcte que le Québec.»

Ce qu'il a conservé reste passablement épicé:sur les franchouillards, les Noirs, les Arabes, les Juifs, les grosses, les homos. Kavanagh joue à l'équilibriste pendant une heure et demie avec une jubilation un peu sadique sans jamais tomber dans le vide.

Tirer sur toutes les cibles

Ses spectacles précédents avaient, en bonne partie, un thème donnant: d'abord les séries américaines, ensuite les gadgets de la vie moderne, l'internet, les cellulaires, etc. Cette fois, ça part dans toutes les directions. Kavanagh, nouveau père d'un garçon de 1 an, Matisse, lui raconte Cendrillon dans sa version à lui, plutôt grinçante. Un quart d'heure plus tard, un Kavanagh jeune tente d'avouer son homosexualité à son père haïtien qui ne veut rien comprendre.

Un peu plus tard, le voilà devenu le Dr House avec sa canne. Il interpelle des spectateurs pour les examiner. «Faites ah! Eh oui, problème d'haleine. Vous avez un chat dans la gorge, il est mort depuis un petit moment, et il avait chié avant.» Ça passe, comme tout le reste. Et ça se termine, en guise de rappel, avec deux ou trois tubes américains, qui font se lever la salle. Anthony Kavanagh, qui en a les capacités, rêve aussi de faire une carrière de chanteur. Après avoir tenu plusieurs rôles importants au cinéma.

Entre-temps, il s'est bricolé sur mesure un nouveau «concept» télé - une trouvaille dans la veine des Inconnus ou des Nuls - qui pourrait connaître un véritable succès. Le principe de Nous avons les images: raconter, dans des sketchs de trois minutes, la vraie histoire derrière une image d'actualité ou un personnage. Quelle est la vraie histoire d'Obama et de la mouche? Comment Newton a-t-il trouvé la loi de la gravitation? Pourquoi Clinton et Eltsine ont-ils un tel fou rire à la Maison-Blanche? Kavanagh apparaît donc en Dieu le père, en Newton et autres personnages célèbres. Pour ce qu'on en a vu, c'est fort drôle. Et les gens de Canal " ont signé pour les huit émissions sans demander de pilote.

Jours euphoriques à Paris, en somme.