Avec très peu de moyens, l'humoriste Nabila Ben Youssef s'est emparée hier de la salle du Gesù, qu'elle a réussi toute seule à remplir... et à faire rire. C'est au bord des larmes qu'elle a remercié à la toute fin un public qui l'a accueillie à bras ouverts.

Ce n'est pas évident de faire de l'humour quand on est femme et arabe, en plus de se lancer dans le métier assez tardivement. Nabila Ben Youssef s'est tapé la formation de l'École nationale de l'humour à 37 ans! Cela donne une bonne idée du courage de ce vibrant petit bout de femme, qui se dit très accommodante... mais peu raisonnable.La preuve, c'est qu'elle s'est payé cette rentrée montréalaise, pratiquement organisée par elle de A à Z. À la fois carte de visite et c.v., Arabe et cochonne bio est en fait le saut sans filet d'une humoriste qui jouait hier son destin. Sa nervosité était au début palpable, mais la réponse du public lui a donné sans cesse plus d'aplomb tout au long de la soirée.

Elle remplit un créneau encore peu exploité; il fallait voir le public d'hier, très différent de celui assez hétérogène des galas Juste pour rire. Des «pure laine», des Arabes et autres néo-Québécois tout aussi curieux les uns que les autres de voir ce que veut dire «Arabe et cochonne». Beaucoup de femmes, et pas mal d'hommes. Ils ne riaient pas toujours aux mêmes gags, ce qui avait comme conséquence un rire permanent dans la salle.

Sensuelle et drôle, Nabila Ben Youssef est d'une grande générosité sur scène, et d'une grande interactivité aussi. À force de poser des questions sans arrêt, elle obtient des réponses, et transforme le public habituellement passif en un public participant et bavard. Elle réussit même à le faire danser!

Ses textes, écrits en collaboration avec son partenaire de longue date, Pierre Sévigny, abordent et débordent par endroit des lieux communs sur le choc des cultures. Elle se montre un peu plus vieux jeu et timide envers le Québec qu'elle ne l'est envers sa propre culture, en fait. On voit venir d'avance quelques blagues convenues - sirop d'arabe pour sirop d'érable, on la connaît! C'est vraiment lorsqu'elle parle de ce qu'on ne connaît pas que Nabila Ben Youssef provoque des réactions. Elle qui adore la danse, et qui à son arrivée a vu une tonne d'offres d'emploi dans les journaux pour le métier de danseuse, il faut la voir passer une audition face à Tony, propriétaire du bar Les Valseuses!

Elle se présente et se questionne - «Si tous les immigrants font comme chez eux ici, comment voulez-vous que je m'adapte?; remet quelques pendules à l'heure (non, les femmes arabes sont loin d'être toutes soumises); parle pas mal de sexe (thème universel, peu importe les religions); s'amuse et dénonce à la fois, brise quelques tabous au passage, mais continue à dire à sa mère au téléphone qu'elle est toujours vierge à 40 ans!

Le plus important pour un humoriste débutant est d'imposer une personnalité, ce que Nabila Ben Youssef possède sans l'ombre d'un doute. Hier, au Gesù, pour un soir, elle jouait le tout pour le tout; ce qu'elle a dévoilé (sans mauvais jeu de mot), était pas loin d'une quinte flush royale au poker...