Elles sont nombreuses, les victimes de RBO. Ces redoutables satiristes n'ont épargné personne, de la joie béate de la madame Wall-Marde jusqu'à Super Mario Dumont et son Game Boy. On ne compte plus les «écrapouts» d'ego depuis leurs débuts en 1981. Le Festival Juste pour rire célébrera leur carrière par un gala hommage lundi prochain. Portrait du groupe culte à travers ses victimes.

L'intellectuel : Victor Lévy-Beaulieu ou le doigt curieux

Comme j'aimerais extraire ses abadies par la seule traction de mes phalanges exsangues et... et...» clamait un personnage joué par André Ducharme.

On voyait ensuite un faux VLB calé dans son fauteuil, ivre mort. Les yeux fermés, il plongeait le doigt au hasard dans son dictionnaire, à la recherche d'un mot pour compléter la réplique. Son improbable trouvaille: plénipotentiaire.

Depuis sa maison de Trois-Pistoles, l'auteur rigole en se remémorant le sketch. Il se sent un peu démasqué. «Je ne l'ai jamais vraiment dit, mais il m'arrive de faire cela.»

Vraiment? «Oui. Je ne sais pas trop comment ils l'ont deviné. Quand un début de paragraphe ne me vient pas, je choisis parfois un mot au hasard dans le dictionnaire. C'était le cas entre autres pour mon Don Quichotte. J'ai déjà aussi utilisé des phrases complètes de Lowry ou Kerouac pour débloquer.»

Quant à l'alcool, VLB ne s'en offense pas. Il reconnaît que c'était une période plus rocambolesque de sa vie. «Je n'ai toutefois jamais pris de drogue, tient-il à préciser. Mais ça ne me dérangeait pas qu'on me montre avec une seringue. Une caricature, c'est une charge. Plus RBO y allait raide, plus j'aimais ça.»

Ce qu'il préférait, c'est l'extrait où il se blottit dans la poitrine d'une infirmière. «Je voulais envoyer un mot aux gars pour leur demander de me l'envoyer, leur infirmière.»

Les éditions VLB figurent aussi parmi les victimes de RBO. Dans une décapante satire d'Apostrophes de Bernard Pivot, on découvrait trois prototypes de l'écrivain qui tourne en rond: le nombriliste (Philippe Tréchian). l'enculeur de mouches (Marguerite Troudugnol) et Gratien Hurtubise (publié chez VLB), l'homme du terroir aux impossibles québécismes. Le moment le plus drôle d'Apostrophes depuis que Bukowski avait presque pissé dans ses culottes à la véritable émission.

Nos humoristes se moquent-ils assez des intellectuels? VLB, fan aussi de Sylvain Laroque, Daniel Lemire et Mike Ward, estime que non. «Peut être qu'ils ne les connaissent pas assez.»

La chanteuse : Belgazou ou l'amour du bourreau

«Pardon, surtout, mille fois pardon Belgazou (...) Si tu changes de nom, on va arrêter», chantait Guy A. Lepage de sa voix torturante. Dans la même séquence, des tomates étaient lancées sur l'image de la chanteuse.

Elle a finalement repris le nom de Diane Guérin. «Mais ce n'est pas à cause de RBO. C'était à la suggestion du directeur de la programmation de CKOI», raconte l'interprète du tube Talk About It.

Cette souffre-douleur de RBO assure ne conserver aucune rancune. «Au contraire, je les aime beaucoup, vraiment», lance-t-elle. Âgée de 61 ans, la retraité du showbiz habite depuis quelques années à Saint-Côme, son «paradis sans stress». Elle y déneige son entrée, fait du scrabble pour son esprit et du yoga pour son corps, et elle prépare des repas pour les démunis.

Pas de rancune, donc. Mais des blessures, oui. «Je suis une fille sensible, justifie-t-elle d'un rire gêné. Je me souviens particulièrement d'un gag au Gala de l'ADISQ. Toute l'industrie était là, c'était humiliant.»

Elle a fini par appeler Guy A. Lepage pour qu'il cesse. «Il avait très gentiment accepté. C'est quelqu'un que je respecte beaucoup. J'adore son intelligence, j'adore son travail.»

La publicité : Dagnel Spécificité, ou la marque détournée

«Chic ou ben spôwrt», proposait fièrement Yves Pelletier dans la pub de Dagnel Spécifité.

Le choix s'explique. C'est ce que raconte au téléphone Daniel Salvas - monsieur Daniel Spécialités lui-même, ex-propriétaire et acteur des pubs originelles.

«On vendait beaucoup de vêtements chics et plus tard de vêtements sport. Sport chic, faut s'entendre. À l'époque, les gens commençaient à changer leurs habitudes. Ils s'habillaient plus casual comme on dit. Nos magasins étaient moins réputés pour cela, mais on essayait de s'adapter.»

Voilà une des raisons qui expliquent la faillite des merceries Daniel en 2007. Les pubs de RBO n'avaient jamais nui aux affaires, assure-t-il. «Notre clientèle était un peu plus monsieur que celle de RBO. (...) Les clients qui ont vu leurs pubs étaient plutôt sympathiques à la cause, sympathiques à Daniel lui-même et à ses magasins. Ça se peut par contre que les plus jeunes aient été un peu influencés.»

Plusieurs autres pubs et marques de commerce ont été détournées par RBO. Wal-Mart devenait Wall-Mard. Molson devenait Molçon. Et McDo devenait WacDo, le burger qu'on crache par dégoût.

Certains publicitaires avaient sûrement la frousse en lançant leurs messages. Malgré tout, certaines marques caricaturées ont peut être profité de cette visibilité accrue. Ou peut être que non. C'est difficile à mesurer, mais on se souviendra que Dunkin' Donuts, théâtre de «Bonjour la police», a choisi de commanditer les documentaires de RBO à TVA en 2001.

La comédienne : Andrée Boucher, ou la messagère caféinomane

«J'avais l'air d'une petite grenouille qui allait grimper dans un palmier», dit Andrée Boucher au sujet de l'imitation que Guy A. Lepage faisait de son personnage Évelyne dans les Dames de coeur - transformées en Deux de pique.

On entend encore la phrase «voulez-vous un petit peu de café» résonner avec son timbre servile et plaintif, ponctué de «ah!».

Andrée Boucher en riait beaucoup. Mais pas son entourage. «Je boitais et la caricature montrait mon handicap. Mes amis trouvaient cela grossier. Moi, je trouve plutôt que ça dédramatisait le problème. (...) Et après tout, on riait du personnage et non de ma personne. La nuance est importante.»

Elle avoue qu'aujourd'hui encore des inconnus lui offrent «un p'tit café» au restaurant. «Le gag a plus aidé ma carrière que toutes les premières pages de magazine que j'aurais pu faire.»

Quelques années plus tard, elle tournait même une pub de Dunkin' Donuts avec Guy A. Lepage, déguisé comme elle en Évelyne.

Les Deux de pique s'ajoutent aux Snappe pis bourdonne, Les héritiers du mal et nombreux autres pastiches d'émission télé de RBO. Certains les ont déjà accusés de trop parler de télévision, au détriment de sujets plus «importants». Ce à quoi le groupe répondait en 2007 dans une interview avec Nathalie Petrowski: «C'est un code commun et il y a quatre millions de Québécois qui regardent la télévision. Trouvez-moi une autre activité qui rassemble autant de monde et on se va se faire un plaisir d'en faire un sketch.»

Le politicien : Mario Dumont, ou les limites de la caricature

En 1994-1995, RBO présentait Super Mario Dumont à l'Assemblée nationale, au travail avec son Game Boy et ses cahiers Canada. Douze ans plus tard au Bye Bye, on le retrouvait à la tête d'une classe de ti-namis indisciplinés - ses candidats.

Dans les deux cas, l'ex-chef de l'ADQ estime que les caricatures ne lui ont pas trop nui politiquement. «Le jeu de mots avec Mario Bros, ce n'était pas le plus surprenant. On le voyait venir d'assez loin. Et la deuxième, elle ne faisait que reprendre ce que les journalistes disaient déjà depuis plusieurs mois», lance ce «très grand fan» de RBO.

Selon lui, les caricatures télé comme celles de RBO ne sont pas les plus dommageables. Ce serait plutôt les caricatures des journaux. «C'est ce qui est le plus cruel pour l'ego et pour l'image publique. Mais encore là, leur pouvoir est limité. Personne n'a été aussi martyrisé par les caricaturistes que Jean Chrétien. Et c'est le politicien canadien qui a connu le plus de succès au 20e siècle.»

M. Dumont assure qu'il riait des gags de RBO sur lui. «À Québec, Daniel Johnson, Jean Charest et moi étions les plus enclins à rire de nous-mêmes. En général, les péquistes comme Monsieur Landry ou Madame Marois trouvaient moins drôles les blagues à leur endroit. Avec Monsieur Parizeau, c'était moins pire, mais encore là...»

Les gags politiques n'étaient pas ses favoris. «Il est de bon ton de dire qu'on aime l'art engagé. Mais honnêtement, je préfère leurs personnages comme Monsieur Caron, et surtout le sketch de la Soirée canadienne», avoue-t-il. Quelques secondes plus tard, il se met à nous en réciter des extraits.

Malgré son fond nationaliste, RBO n'a épargné aucun politicien ou parti politique. L'humour politique vieillit habituellement mal. Mais dans le cas de RBO, ce sont parfois ces gags qui restent les plus gravés dans nos mémoires. À commencer par le célèbre sketch du 4e Reich. Dans cette satire de la «paranoïa» d'Alliance Québec, Robert Bourassa devenait le Fourreur, et la loi 101 prenait des allures de génocide culturel. TVA en avait empêché la rediffusion.

La sportive : Josée Chouinard, ou la chute gênante

La patineuse artistique Josée Chouinard habite dans la région de Toronto depuis 1993. C'est là qu'on l'a jointe pour parler d'un sketch d'André Ducharme. Elle ne s'en souvient pas vraiment.

Il faut donc lui décrire. Un exercice un peu gênant. Disons, madame Chouinard, que votre pub de Prêt Plus se transformait en pub de Prêt Pusse. Et que vous chutiez compulsivement, sans ne jamais perdre le sourire.

Après une vingtaine de secondes, elle finit par se remémorer un extrait. «Oui, le sketch où je tombais dans la douche, c'est ça? Ce n'est jamais plaisant de voir des choses négatives sur soi. Mais en même temps, ça m'avait un peu impressionnée. Je n'étais qu'une simple patineuse, et on me jugeait assez importante et connue pour écrire une blague sur moi.»

La triple médaillée d'or aux championnats canadiens n'est pas la sportive la plus écorchée par RBO. Il existe des prétendants plus sérieux. Stéphane Richer en particulier. Comme d'autres hockeyeurs, on le réduisait à un débile léger aux tendances aphasiques et aux grandes ambitions. «Que ferez-vous plus tard?» lui demandait un faux animateur. Réponse: «Dodo».

Le groupe minoritaire : les aveugles, ou la moquerie payante

RBO a ri des aveugles. La Fondation des aveugles les a récompensés. Vers la fin des années 80, elle leur a remis son prix Denis Lazure.

«Après le sketch sur le hockey des aveugles et celui où Richard Z. Sirois lit un Playboy en braille, nous avons reçu beaucoup d'appels de gens curieux. Ils voulaient en savoir plus sur les maladies visuelles», se souvient Ronald Beauregard, directeur général de la Fondation.

Les dons ont suivi les questions. M. Beauregard estime que la Fondation a reçu entre 5000 et 10 000 $ de ces curieux dans les mois suivants. C'est pourquoi RBO a reçu la distinction.

Leurs gags se sont poursuivis jusqu'au gala honorifique. «Je me souviens que le groupe feignait de ne pas trouver le prix sur scène, poursuit M. Beauregard. On trouvait cela bien drôle.»

Le rire est inclusif, estime-t-il. Rire des handicapés est selon lui une étape de plus vers leur pleine intégration.

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Gala hommage RBO, le 20 juillet, 20 h, au Théâtre Saint-Denis.