Ils sont six, trois hommes et trois femmes tout ce qu'il y a de plus ordinaires, à s'emmerder visiblement autour de la table d'une salle de conférence. Ils ne disent mot, mais se lancent de drôles de regards. Chaque fois que l'un d'eux a une idée, un flash, il le réprime aussitôt et rentre dans le rang. Dès le départ, le public de la petite salle du Gesù est déstabilisé, comme s'il avait l'impression d'être voyeur. On entend quelques rires, d'abord timides, mais qui deviendront plus spontanés au fil de la soirée.

Bienvenue à Rêverie, fruit de la première collaboration entre la compagnie The Second City de Chicago et Juste pour rire. Un spectacle hors normes, sans paroles - à l'exception de rares dialogues en langage inventé -, dans lequel six personnages s'évadent de leur petite vie de bureau plutôt drabe pour laisser libre cours à leurs fantasmes les plus fous.

Ce n'est pas de l'humour à s'en taper les cuisses - quoique mercredi, une spectatrice a ri sans arrêt. Il faut même consentir un certain effort de concentration pour suivre les multiples personnages dans leurs escapades pendant les 80 minutes que dure le spectacle. D'autant plus que les six comédiens-danseurs-mimes doivent tout suggérer avec un minimum d'accessoires à leur disposition: des bureaux et des chaises, quelques bouts de papier, un casque de motard et un grand écran, dont on ne peut pas dire qu'ils abusent.

Belle dose d'énergie

Ce que Rêverie met en valeur, c'est l'imagination débordante de cette troupe qui peut aussi bien exécuter un ballet sur chaises à roulettes, avec des pointes s'il vous plaît, ou simuler une poursuite policière en plein coeur de la ville; leur énergie aussi, qui permet par exemple à Frank Caeti, un monsieur bien en chair, d'incarner un bébé en couche qui multipliera les acrobaties et les culbutes.

Il y a dans Rêverie des moments plus légers, parfois proches du slapstick, et de gros clins d'oeil qui laissent aux spectateurs le temps de souffler. Dont un strip-tease-tout-habillé poussé à l'extrême, auquel se prête énergiquement Emmanuelle Delpech-Ramey, la Française de la troupe. Ou encore le numéro du client de restaurant - hilarant Frank Caeti - qui s'empiffre à en crever, rappelant au passage l'énorme Mr Creosote des Monty Python. Sans oublier un vieux truc qui marche à tout coup: solliciter la participation d'une spectatrice allumée qui interagira habilement avec le personnage de Charlot campé par Laura Grey, sur l'air de Happy Together des Turtles.

Certains trouveront ce spectacle décousu, le thème du rêve et du fantasme étant un prétexte tout trouvé pour faire s'imbriquer l'un dans l'autre des tableaux sans lien évident. Les six comédiens ne s'en privent pas, eux qui nous entraînent à leur suite à la messe, à la guerre, au salon de massage ou dans le studio d'un jeu-questionnaire télévisé.

Mais au final, on apprécie l'audace de Second City qui, tel un équilibriste, prend des risques en misant sur l'intelligence et l'imagination du spectateur.

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Rêverie, The Second City, du 17 au 19 juillet et du 21 au 26 juillet au Gesù.