Cela fait déjà un bail que dans l'esprit de Gilbert Rozon mûrit le projet de faire de juillet le mois de tous les festivals, à Montréal, à l'image de ce qui se fait en août à Édimbourg. Avec cette idée en tête, le patron de Juste pour rire lance un nouveau spin-off de Juste pour rire, le multidisciplinaire Zoofest. Mais la vision de Rozon est-elle partagée par ses homologues des autres festivals voués aux arts de la scène?

De la danse, du théâtre, de la musique, du stand-up, du cirque... Le nouveau et multidisciplinaire Zoofest, dirigé artistiquement par Lucy Eveleigh (ancienne du Fringe d'Édimbourg), est un croisement entre le Fringe, le OFF.T.A., le (nouveau) Festival des arts du cirque et même le FTA, qui se déroulent à Montréal de la fin mai à la fin juin.

«Notre premier mandat, c'est d'être une plateforme pour les artistes. Nous voulons leur offrir un public, pour faire décoller leur carrière», exprime au bout du fil Lucy Eveleigh, ancienne actrice à l'accent british établie à Montréal depuis un an.

Ce n'est pas le fruit du hasard si Rozon a confié à cette routière du Fringe d'Édimbourg les rênes de son tout nouveau festival fourre-tout et international. Avec sa programmation faite de plusieurs spectacles pas chers - 60 % des spectacles seront en anglais, et l'emphase est mise sur la comédie -, le Zoofest ressemble à une mini-version du Fringe d'Édimbourg.

Mais tous les patrons des festivals ne rêvent pas d'Édimbourg. Concentrer tous les festivals majeurs de Montréal en juillet, Marie-Hélène Falcon n'en voit pas trop l'intérêt. «L'étalement a beaucoup de vertus, en comparaison à une «empilade» de tout le monde en juillet», estime la directrice artistique du Festival TransAmériques.

Le FTA, dont les salles sont pleines à craquer - la moyenne d'assistance du dernier festival était de 96 % -, n'aurait pas avantage à bouger en juillet, fait valoir Mme Falcon. «Nous faisons un festival pour les Montréalais et pour un certain tourisme culturel. On opère dans 13 ou 14 salles de Montréal, et cela me semblerait un peu compliqué que tout le monde ait besoin des salles en même temps. Je me vois mal faire ce que je fais en juillet: c'est la période de vacances de nos collaborateurs et de notre public.»

Et le Fringe?

Patrick Godard, directeur du Festival Fringe de Montréal, a été approché par Gilbert Rozon, qui l'a invité à déplacer son festival en juin. Mais le projet de filiation entre le Fringe et Juste pour rire a achoppé sur le calendrier inflexible du réseau nord-américain des festivals Fringe. De plus, la programmation par tirage au sort - la marque de commerce du Fringe - déplaisait au président de Juste pour rire, qui tenait à avoir son mot à dire sur le choix des spectacles.

«Dans le Fringe, il n'y a pas de grosses stars. Plusieurs des spectacles sont un premier jet de création», explique celui qui différencie dans cette foulée le Fringe montréalais de celui d'Édimbourg, «désormais fréquenté par de gros producteurs qui cherchent de gros canons». «Avec des salles commanditées par des chaînes de télé, Édimbourg ne conserve presque plus rien de l'esprit original du Fringe.»

Pour Louise Sicuro, de Culture Montréal (et présidente du OFF. T.A.), la proposition de tout concentrer en juillet est intéressante, dans une perspective touristique. «Il faudrait l'essayer. C'est bien si un promoteur met sa machine derrière quelque chose comme le Zoofest», observe celle qui prône la démocratisation de la culture pour tous les Montréalais.

Mme Sicuro soulève toutefois que la concentration pourrait signifier une uniformisation de l'offre culturelle. «Les Montréalais ne sont pas appelés à festoyer seulement en juillet. Les propositions artistiques comme Voix d'Amériques, le FestiBlues et autres doivent continuer leur travail. Et des festivals, il y en a dans tous les quartiers, à l'année, pas juste au centre-ville.»

Mettre tous les oeufs dans le panier de juillet pénaliserait-il financièrement les autres festivals? C'est ce que craint Marie-Hélène Falcon, qui pense que les subventions dont bénéficiera le Zoofest représentent «beaucoup d'argent public pour un festival qui en a déjà beaucoup».

Fondateur du Festival de théâtre de rue de Lachine - qui a migré vers la métropole, après 10 ans passés dans les rues de Shawinigan -, Rémi-Pierre Paquin se dit ouvert à la possibilité de déménager le festival de trois jours en juillet. «Il ne faudrait pas perdre notre identité là-dedans», précise toutefois le directeur artistique de cette manifestation particulièrement novatrice qui, à la fin du mois de juin, a transformé le parc des Berges en grande fête urbaine bigarrée.

Paquin, dans l'éventualité où on inviterait son festival à se joindre à un consortium d'événements, émettrait certaines conditions. «Nous, ce qu'on aime, c'est de dépayser les gens. Si on nous demandait de nous rapprocher du centre-ville, je dirais non», tranche le comédien, qui espère surtout que de petits festivals comme le sien ne seront pas éclipsés par un gros festival avec une seule et unique vision artistique.

«Depuis 12 ans, nous avons acquis une expertise. J'ose espérer que les gouvernements nous font confiance. Si on commençait à programmer des humoristes en salle à Lachine, on ne partirait pas avec la même enveloppe que Juste pour rire!»