Peut-être devient-on drôle parce qu'on n'a pas le choix. Parce qu'on est petit, gros, laid, timide, seul, gai... bref, différent. L'humour est de toute évidence une arme de défense qui, bien employée, ne fait en plus aucune victime. Que du bien. «Je suis persuadé que je suis passé à travers l'école sans problème et sans avoir d'ennemis, parce que personne n'a envie de taper sur la gueule de quelqu'un qui t'a fait rire dans l'après-midi», explique Laurent Paquin. «C'est une question de séduction, ajoute François Morency. À l'école, il y avait des gars qui me parlaient à peine et tout à coup, parce que je les avais fait rire, ils me traitaient comme un grand chum.»

Dans le cas d'Alex Perron, qui n'a jamais caché son orientation sexuelle, l'humour était tout simplement nécessaire. «J'avais peur d'être victime de ça, c'était une façon détournée d'envoyer ça ailleurs, parce que l'humour bloque toute attaque. Au lieu de rester dans mon coin, j'ai pris beaucoup de place, je voulais qu'on m'entende.» Pour Vincent Léonard, des Denis Drolet, faire rire a été un moyen de s'accepter tel qu'il est. «J'ai trouvé que c'était drôle de jouer avec ce visage et ces dents-là. Ça m'a donné confiance en moi.»

Faire rire est un talent, voire un don, certes. Mais l'aptitude à rire est un élan vital pour tous les êtres humains - puisque le rire est le propre de l'homme, disait Rabelais. En cela, les humoristes ne sont pas différents du commun des mortels. Ils se rejoignent tous dans la fameuse maxime «vaut mieux en rire qu'en pleurer». Cela n'a pas été plus vrai que pour Vincent Léonard. «Un mois avant d'entrer à l'École nationale de l'humour, mon petit frère de 15 ans est mort. On nous a demandé d'écrire un numéro à partir de la chose la plus triste qui nous était arrivée dans la vie. Ça m'a beaucoup aidé.» «Les meilleurs gags viennent souvent du drame, note Cathy Gauthier. Pour que ce soit drôle, il a fallu que ce soit très intense.»

André Sauvé, lui, est catégorique: l'humour lui a littéralement sauvé la vie. «J'ai toujours été quelqu'un d'angoissé. C'est le seul lien qui me maintenait avec les gens, notamment à l'adolescence, une période que j'ai détestée. Je suis persuadé que l'humour ouvre le coeur. Le rire, c'est sain. Il ne faut pas que ça nous empêche de vivre nos émotions, mais ça équilibre.»

«Au moment précis où les gens rient, je suis heureux. On dirait que je n'ai aucun problème à ce moment-là.»

Sur un autre plan, le rire est carrément un lubrifiant social dans les situations de malaise. «Quand il y a des moments de silence, de malaise, tu deviens une espèce de soupape, explique François Morency. Instinctivement, tu enlèves le malaise et tout le monde se sent bien. C'est utile aussi à l'épicerie avec une dame fâchée, dans les soupers officiels, chez la belle-famille...» «L'humour, c'est une épice qu'il faut mettre dans tout, pense Laurent Paquin. C'est ce qui fait que les gens rient même dans les enterrements. Mon père me disait: «C'est ce qui fait qu'on a des blondes dans la vie, parce que c'est l'humour qui fait qu'on a envie d'être avec quelqu'un.»»

Même dans la solitude, l'humour a ses effets selon Jean-Thomas Jobin. «L'humour me sert tout le temps, parce que je passe mon temps à rire de tout. Je ris du vide et de l'absurdité de la vie. Je suis aussi la première cible de mon ironie. Ça m'aide à ne pas me prendre au sérieux et à ne pas trop m'en faire quand arrivent des moments plus pénibles.» C'est aussi un truc santé pour François Léveillé: «Je suis beaucoup plus zen avec l'humour, beaucoup mieux dans ma peau. L'hilarothérapie, je crois à ça. On ne travaille pas dans des mines! Une femme m'a déjà dit que je l'avais guérie de son cancer!»

En résumé, le pouvoir infini de l'humour est directement proportionnel aux infinies difficultés que nous réserve l'existence. «Ça sert juste à endurer la vie, elle n'est tellement pas évidente pour personne, croit Jean-Marc Parent. C'est pour ça qu'on s'invente des histoires. C'est comme la musique, ça aide à vivre.»